Rétromobile 2018 – Bugatti Type 57 Cabriolet Vanvooren de 1938

Rétromobile 2018 – Bugatti Type 57 Cabriolet Vanvooren de 1938

Artcurial proposait à la vente lors du salon Rétromobile 2018 une superbe et rare Bugatti Type 57 Cabriolet Vanvooren de 1938. Elle n’a finalement pas été vendue, retournant ainsi dans la collection Volante en Allemagne.

Par Pierre-Yves Laugier, expert Bugatti – Longtemps mystérieuse, cette voiture a récemment livré ses secrets après un long travail d’investigation mené par plusieurs historiens Bugatti, ainsi que par son dernier propriétaire qui a entrepris une restauration totale, sans considération de prix. Elle porte la carrosserie du cabriolet type 57C Vanvooren (châssis 57757/moteur 52C) du Salon de Paris d’octobre 1938, qui fut transposée à l’usine vers 1945 sur un châssis type 57 (moteur 546) neuf, en stock depuis juin 1939.

Le châssis 57757/moteur 52C, cabriolet Vanvooren, Salon 1938
La carrosserie de ce véhicule fut construite par les Établissements Vanvooren, rue Pierre Lhomme à Courbevoie, afin d’être exposée du 6 au 16 octobre 1938 sur le stand de ce carrossier au Salon de l’Automobile de Paris, au Grand Palais. Pour cet événement, le châssis 57C numéro 57757/moteur 52C est préparé début août 1938 par Molsheim afin de recevoir la caisse Vanvooren. Cette caisse était prévue à l’origine sur ce même châssis car sur l’une des trois photos de la voiture prises au bois de Boulogne en octobre 1938, on peut lire le logo  » 57C  » sur l’arrière gauche de la malle. Ces photos ont été publiées dans le numéro de novembre-décembre de la revue Auto-carrosserie. La caisse y est décrite comme « de couleur noir et bleu, capote bleue, et intérieur cuir bleu ». En 1938-1939, rares sont les châssis commandés à Bugatti par l’atelier Vanvooren : ce châssis n°57757 est le seul de type 57C qui lui est livré en 1938 pour la réalisation d’un cabriolet. Un autre châssis, n°57695/moteur 506, sans compresseur, sortira des ateliers Vanvooren à Noël 1938. Les deux châssis avaient été livrés à la carrosserie le 12 août 1938.

La voiture 57757/moteur 52 C est achetée par D’Ieteren, l’agent Bugatti bruxellois, le 30 septembre 1938, la carrosserie cabriolet quatre places lui étant facturée 41 200 francs. Le Salon de Paris ouvre ses portes la semaine suivante. Le 15 novembre 1938, la voiture est enfin livrée à D’Ieteren à Bruxelles pour son client M. Washer, contre la somme de 110 000 francs. Dans tous les documents de l’usine, une seule note mentionne « Washer  » comme client du véhicule.

Fort de cette information, nous partons sur sa piste et retrouvons la belle-fille du premier propriétaire Jean Washer, célèbre tennisman belge des années 1920. Elle fait chercher pour nous dans les archives familiales, et son neveu découvre les documents espérés. L’album de famille renferme encore les photos publicitaires du véhicule au bois de Boulogne, envoyées par l’agent bruxellois pour convaincre son client, ainsi qu’une photo datant de l’hiver 1939, avec les plaques belges. Jean Washer pose, à côté de sa nouvelle acquisition, en casquette et gants. Son fils Paul Washer, décédé récemment, avait peu avant tenté de contacter l’usine de Molsheim dans l’espoir d’avoir des nouvelles de la voiture familiale. En effet, le souvenir était encore très présent dans la mémoire de celui qui était un jeune homme de 16 ans lorsque son père avait acheté ce cabriolet. La direction actuelle n’a pas pu lui répondre. Pourtant, la voiture était bien repassée par l’usine vers la fin de la guerre puisque son châssis avait été utilisé pour recevoir le moteur ex-57404 et une carrosserie de cabriolet Gangloff modèle 1939, tandis que la caisse Vanvooren était posée sur un châssis neuf équipé du moteur n°546.

Jean Washer (1894-1972)
Né le 22 août 1894 à Berchem et décédé le 22 mars 1972 à Genève, Jean Washer fait partie d’une famille d’industriels du textile de la région bruxelloise. Il commence à jouer au tennis après la guerre et rejoint le Royal Léopold Club de Bruxelles. Sa meilleure année est 1923 où il termine neuvième joueur mondial. En 1924 il atteint les quarts de finale à Wimbledon et perd contre René Lacoste. L’année suivante il est demi-finaliste à Roland Garros après avoir battu Henri Cochet, mais il perd devant Jean Borotra! Il est aussi quart de finaliste en 1926. Il remporte huit fois, de 1920 à 1927, les championnats de Belgique individuels en extérieur et sept fois en double, de 1919 à 1925. Il a joué en Coupe Davis entre 1921 et 1927 dans l’équipe de Belgique. En 1922, au Racing Club de Bruxelles, il bat Henri Cochet puis Jean Borotra et, en 1924, il domine René Lacoste au Léopold Club puis Henri Cochet sur la Côte d’Azur. Gaucher au service puissant, il est doué d’un bon smash et d’un coup droit lifté rapide. Sur le plan professionnel, il est responsable du département des fibres synthétiques au sein du groupe UCB (Union Chimique. Belge). En 1928, Jean Washer acquiert un superbe parc à la Drève de la Meute, dans les bois de Waterloo, où se trouve la propriété  » le Manoir « . Cette immense demeure anglo-normande date du début du XXe siècle. Après la seconde Guerre Mondiale Jean Washer entraîne son fils Philippe qui deviendra lui aussi un grand champion de tennis. Il se retire alors dans sa villa genevoise jusqu’à son décès en 1972. Mais avant cela, le 10 mai 1940, les Allemands envahissent la Belgique. Le 28 mai le pays capitule et l’armée d’occupation s’installe en Wallonie. Elle prend ses quartiers au  » Manoir  » et un officier confisque pour son usage personnel le rapide cabriolet 57C. D’autres voitures seront également sorties des nombreux garages de la propriété pour l’usage des occupants. La Bugatti semble partir alors vers l’est avec son officier, puisque nous retrouverons sa trace chez un carrossier au nord de Francfort.

La caisse Vanvooren
Lors de sa restauration récente, au démontage des boiseries et des sièges, la caisse a révélé son numéro de carrosserie. Il est peint au pochoir au revers des sièges, écrit au crayon bleu sur des bois et au crayon de mine sur d’autres pièces. Au total, le numéro de carrosserie Vanvooren 2940 apparaît sur plus de dix pièces de carrosserie. Il est conforme à un numéro châssis de Bugatti habillé en automne 1938, car la caisse 2986 équipe un Coupé 57C Vanvooren de juillet 1939.

L’analyse des éléments de la carrosserie lors de la restauration totale commandée par le collectionneur de la Volante Collection va nous révéler la suite de l’histoire. L’intérieur d’un panneau de porte laisse voir une longue inscription : « Erwin Leun, Karosseriebauer, Giessen. Klein Linden, Dammstrat 14. Deutschland ». La ville de Klein Linden se trouve à 400 km à l’est de Waterloo, au nord de Francfort, et l’atelier E. Leun était connu pour les réalisations qu’il effectuait pour le compte de la Wehrmacht durant la guerre. La famille nous a confié que leur atelier avait modifié de nombreuses voitures confisquées entre 1940 et 1944. Sur la Bugatti, la position de la roue de secours a été changée, pour qu’elle soit dissimulée dans la malle plutôt qu’en évidence sur l’aile gauche, ce qui en temps de guerre était plus sécurisant et aussi plus esthétique. Une barre de remorquage a été soudée à l’arrière de la caisse, découpant le bas de la jupe du coffre de quelques cm. Il est possible que cette modification, ainsi que des orifices percés dans les ailes, aient été motivée par l’installation d’une radio. Le nom de Hammerstein apparaît gravé dans le métal des glissières des deux sièges avant. Il pourrait être celui d’un officier allemand de la famille de militaires Von Hammerstein, et être lié au nom de l’un des officiers ayant considéré la voiture comme prise de guerre. Si nous pouvons suivre la voiture de Waterloo à Klein Linden entre 1940 et 1944, il est impossible de déterminer la période précise ou le châssis 57C sera séparé de la caisse Vanvooren.

La période trouble de la guerre et les voitures en stock à Bordeaux et Molsheim
Le châssis doit avoir été séparé de sa carrosserie entre 1944 et 1950. Il existe une très forte probabilité que le travail ait été réalisé à l’usine de Molsheim, puisque le pont arrière d’origine N°52C et le cadre semblent avoir été utilisés sur la voiture d’un amateur de Colmar après-guerre. Le châssis actuel de la voiture provient des stocks de châssis neufs ayant été entreposés à Bordeaux en 1940 puis, par ordre de Hans Trippel, rapatriés à Molsheim en 1941. Une vente aux enchères a été organisée cette année-là à l’usine, après que le stock de voitures de Bordeaux ait réintégré Molsheim.

La caisse du châssis n°57757, notre cabriolet Vanvooren ex-Salon de 1938, vient à être posée sur le châssis neuf doté de la mécanique n°546. Il s’agit d’un châssis complet avec moteur, boîte et pont n° 546, stocké à Bordeaux en 1940-1941 puis rapatrié à Molsheim. Son numéro de cadre, 438, montre que le moteur 546 n’a pas été installé dans un châssis lors de son montage en janvier 1939, mais après juin 1939. Les recherches conjointes de plusieurs historiens Bugatti, dont Sandy Leith aux États-Unis, semblent prouver que le châssis d’origine 57757 de notre voiture, cadre numéro 339, toujours doté de son pont numéro 52C, aurait reçu une caisse Gangloff cabriolet quatre-places de 1938-1939 et le moteur ex-57404. Elle serait, depuis, connue sous ce dernier numéro.

La voiture actuelle, châssis et mécanique n°546, caisse ex-57757 cabriolet Vanvooren
Il est très fortement probable qu’au sortir de la guerre, plusieurs type 57 et 57C, réquisitionnés, malmenés ou simplement abîmés par le stockage, soient retournés à l’usine Bugatti pour être remis en état. Les nouveaux clients avaient le choix de restaurer leur châssis ou de déposer leur carrosserie pour bénéficier d’un des châssis neufs de 1939 encore disponibles. C’est sans doute ce qui est arrivé à la caisse de 57757, pour laquelle son propriétaire d’après-guerre a choisi un châssis neuf de type 57. On peut supposer que le moteur 52C était inutilisable car le châssis 57757 fut récupéré par l’usine qui lui installa un moteur de 1936, ex-57404, et une caisse de cabriolet Gangloff quatre-places assez lourde, du dernier modèle 1939.

Après la guerre, nous retrouvons en Autriche le châssis à moteur 546 équipé de la carrosserie Vanvooren. Paul Girardoni, propriétaire d’une importante sucrerie en Autriche, achète l’auto au début des années 1950. Mme Olga Girardoni a confié que son époux avait acheté la voiture en 1951. Elle s’est souvenue avoir reçu la voiture en cadeau de son mari et l’avoir utilisée quotidiennement, et emmenée à plusieurs reprises à l’usine de Molsheim pour entretien. La voiture était alors de couleur verte avec intérieur cuir havane, « couleur pétrole » selon les dires de Mme Girardoni. Elle fut d’abord immatriculée de 1952 à 1954 dans la province de Salzburg, à Saint-Gilgen au bord du lac Wolfgangsee, sous le numéro S 33.696, puis dans celle du Burgenland près de l’usine avec la plaque B 31.133. Les albums de famille de Mme Girardoni renferment de nombreuses photos de la voiture dont plusieurs clichés du tableau de bord : il est bien du modèle 57C avec les quatre petits compteurs à gauche des deux grands qui encadrent le volant, sur un support de bois verni qui était une option sans doute choisie par le carrossier.

En 1965 le véhicule est cédé au grand collectionneur suédois Allan Soderstrom, de Malmö. Au décès de ce dernier, la Bugatti est proposée à la vente par son fils. Elle est acquise en 1996 auprès du négociant Jean-François du Montant par M. Pierre-Alain Bonnigal. Durant sa propriété, la voiture sera repeinte en bleu nuit.

En vente en 2007 par Andreas Haas, la voiture sera acquise en 2014 par son propriétaire actuel qui rêvait d’ajouter cette belle Bugatti au sein de la Volante Collection par l’intermédiaire de Bruno Vendiesse. Notre collectionneur confie la Bugatti à l’atelier de René Grosse pour une restauration totale qui sera étalée sur deux ans, pour un coût supérieur à 300 000 €. La caisse est repeinte dans les coloris Nitrolac deux tons d’origine, bleu et noir. L’intérieur est fabriqué selon les modèles de sièges utilisés par Vanvooren ainsi que les cuirs bleus. L’arrière de la voiture, modifiée pendant la guerre, a retrouvé sa configuration d’origine.

Plus de 4000 photos ont été prises aux différentes étapes de la restauration et attestent du travail méticuleux réalisé par l’équipe de R. Grosse. Reconnu comme spécialiste de la carrosserie Vanvooren, notre collectionneur a réalisé un vrai travail d’historien. Son musée « Museum Volante », dédié aux belles carrosseries d’avant-guerre, a comporté jusqu’à huit voitures carrossées par Vanvooren et les techniques de fabrication de l’atelier de Courbevoie n’ont plus de secret pour lui. Personne n’était plus qualifié pour redonner au cabriolet Vanvooren du Salon de Paris 1938 son panache d’origine.

Photos : 4Legend.com / Artcurial / D.R.

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