Rétromobile 2015 – Bugatti Type 44 Coupé Profilé Aérodynamique Gangloff de 1928

Rétromobile 2015 – Bugatti Type 44 Coupé Profilé Aérodynamique Gangloff de 1928

retromobile-2015-bugatti-type-44-gangloff-010

Artcurial proposait à la vente quelques Bugatti au salon Rétromobile 2015, dont un modèle sortait bien du lot par sa carrosserie spécifique. Il s’agit d’une rarissime Bugatti Type 44 Coupé Profilé de 1928 carrossée par Gangloff avec une carrosserie aérodynamique.

Le châssis 44784 est assemblé à l’usine Bugatti en novembre 1928, et le moteur original n° 544 est sorti de l’atelier le 14 novembre 1928. Cinquante moteurs sont produits durant ce mois, le dernier portant le numéro 571.

Le Registre de vente mensuel de l’usine indique que le châssis 44784 / moteur 544 est livré à « Christy Pangaud et Monestier », le 23 janvier 1929. Ce très important agent stockiste avait un magasin d’exposition au 34 rue de Sèze, à Lyon. Sur le document original, la lettre « W » précède la date du 23 janvier 1929. W est l’abréviation de Wiederkehr, l’ancien propriétaire de la carrosserie revendue au Suisse Gangloff en octobre 1930.

Le Registre de facturation de l’usine indique le prix de 48 000 FF pour le châssis réglé par Christy Pangaud et Monestier. Il est ensuite acheminé de l’usine à Colmar pour être carrossé.

La voiture est immatriculée neuve dans le département du Rhône le 26 février 1929 sous le numéro 3021 PF. Le Registre de vente du concessionnaire lyonnais Pierre Monestier conserve la trace de ce Type 44 dans la liste des voitures vendues pendant l’exercice 1928-1929 : « J Prylli 44784 Janvier 1929 Gangloff ». Jean Prylli, premier propriétaire de cette Bugatti 44, est un grand amateur de voitures et membre actif de l’Automobile Club du Rhône.

retromobile-2015-bugatti-type-44-gangloff-003

Jean Prylli (1891-1976)
Jusqu’à l’âge de 14 ans, Jean Prylli vit avec ses parents à Londres, plaque tournante du commerce au début du XXe siècle, où sont installés les bureaux de son grand-père. Il se marie en 1928 et achète sa première Bugatti, puis la présente berline Gangloff 44784, l’année suivante. Il sera vice-président de l’Automobile Club du Rhône et vice-président de la Fédération Internationale de courses automobiles. En tant qu’organisateur, Jean Prylli ne cesse de se rendre d’une course à l’autre, du rallye de Monte-Carlo au Lyon-Charbonnières, en passant par la course de côte de Limonest… Il dirige la société  » Prylli  » dont les usines sont situées rue Descartes à Lyon, ainsi qu’à Ruy, dans l’Isère. Elle fabrique du tulle et de la voilette pour les mariages et la confiserie, et travaille sur des métiers à tisser centenaires. Jean Prylli est également co-directeur des Soieries Paul Baud. Camarade de combat de Jean Prylli en 1914-1918, ce dernier obtient d’utiliser des locaux parisiens de la société Prylli pour se lancer dans la soierie, et Jean Prylli est son associé.
En octobre 1933, peu de temps avant de pouvoir revendre sa 3 litres, Jean Prylli se porte acquéreur d’une nouvelle Bugatti, d’occasion cette fois.
Il s’agit d’une conduite intérieure Type 49, ex-Vermorel. La famille se souvient bien de cette voiture qui fut démontée pendant la guerre et conservée jusqu’en 1947. La 3 litres 44784 est alors revendue au garage Nudant, agent Bugatti de Dijon. Le Registre des vente des véhicules d’occasion de Monestier indique :  » Nudant, rue Transvaal, Dijon 44 Prylli, Conduite Intérieure, 27 février 1934 « .

retromobile-2015-bugatti-type-44-gangloff-008

Une autre note très précieuse indique à la même période :  » Monet Ind . Macon 44784 Aérodynamique « . Le terme  » Aérodynamique  » appliqué à un Type 44 n’apparaît dans aucun autre document usine en notre possession, pour quelque autre voiture de ce modèle, même si nous savons que le châssis 44419 portera une caisse similaire. La mention  » Aérodynamique Gangloff  » est indiquée pour le châssis 49551, conservé en collection aux États-Unis et d’un dessin identique à 44784. Aucun des deux protagonistes dijonnais, Monet ou Nudant, ne sera le véritable nouveau propriétaire du véhicule : en effet, la Bugatti est immatriculée d’occasion dans le département de la Côte d’Or, le 22 janvier 1934. Elle reçoit alors la plaque minéralogique 9367 QD 2 au nom de Marcel Perrin, domicilié 14 rue des Neufs Clefs à Dijon.
Peu de temps après, la Bugatti retourne dans sa ville d’origine et reçoit aux environs de mai 1934 le numéro d’immatriculation 6582 PF 5. Les propriétaires suivants, dans le département du Rhône, resteront inconnus car tous les documents de police sont détruits à la préfecture de Lyon.

Au début des années 1960, la Bugatti Type 44 Coupé Profilé Gangloff est retrouvé chez André Sirejols, spécialiste BNC de la banlieue parisienne. Son garage de la rue Anatole France à Levallois-Perret regorge de vieux cyclecars et de petites voitures de sport. La voiture est ensuite localisée dans le garage d’Henri Novo, à Marolles-en-Hurepoix, près de Montlhéry. Son futur propriétaire, Philippe Vernholes, fait partie du noyau dur du jeune Club Bugatti.

retromobile-2015-bugatti-type-44-gangloff-006

Philippe Vernholes
Né en 1929 comme sa Bugatti 3 litres, Philippe Vernholles, est le très actif trésorier puis secrétaire du tout nouveau Club Bugatti France crée en 1967. Il achète la voiture dont il confie la restauration mécanique à l’atelier d’Henri Novo nouvellement installé en 1970 à Marolles, après son expropriation de la rue du Lavoir à Vitry-sur-Seine. Le moteur est révisé et mis au point par ses soins. Le châssis roulant est alors convoyé par la route depuis la région parisienne jusqu’à Clamecy, dans la Nièvre, ou il retrouve sa carrosserie Gangloff profilée. Le réputé carrossier Jean-Paul Monceau, dont la carrosserie familiale remonte à 1852, va lui-même chercher la caisse profilée au garage Novo, et le travail de restauration peut commencer. Selon les souvenirs de J-P Monceau, la caisse « tombait » parfaitement sur le châssis et aucune adaptation particulière n’a été nécessaire, preuve s’il en était besoin que les deux faisaient la paire depuis longtemps déjà. Il faut toutefois remplacer les ailes qui n’étaient plus celle d’origine et qui avaient laissé place à des ailes moto assez disgracieuses. De grandes ailes inspirées de celles vues sur le type 50T profilé d’octobre 1932 sont adaptées et se trouvent être proches de celles d’origine. Elles sont réalisées en tôle d’acier. Le capot d’origine est aussi fourni avec le véhicule. Un intérieur en drap vert sombre est utilisé pour les sièges et le pavillon. La malle arrière, manquante, est fabriquée et gainée en similoïde. La caisse est repeinte en  » Souffre Blanc  » qui est un vert très clair et  » Vert Bouteille  » comme le tissu des sièges. Philippe Vernholes utilise bientôt sa nouvelle Bugatti dans les rallyes du club, jusqu’en 1972. Elle est souvent visible devant la pharmacie de son épouse Marie-Andrée, au 163, route de Saint Germain à Carrières-sur-Seine, dans les Yvelines.

retromobile-2015-bugatti-type-44-gangloff-001

Sous le titre  » Mes Autos et Moi « , voici un extrait de la revue du Club Bugatti France 1974, sous la plume de Philippe Vernholes :
 » Philippe a vendu ses voitures, c’est épouvantable, quel triste exemple pour le club ! Voila ce que j’entends dire un peu partout, ou plutôt murmurer. Il me semble donc vous devoir quelques explications à ce sujet… Tout le monde m’a vu un peu partout en France et en Europe avec mon coupé 3 litres Type 44 puisqu’en un an j’ai parcouru pas moins de 12 000 km. Cette voiture marchait fort bien : au Cognac j’étais sur la grille de départ en deuxième ligne parmi les Grand Prix et, pendant les courses, plus d’un s’est essoufflé à vouloir me suivre. Malgré cela, je m’ennuyais dans cette berline avec plein de drap et de tôle autour de la tête. J’ai envie d’un roadster. J’aurai les cheveux au vent « .
Philippe Vernholes poursuit ses souvenirs dans le numéro suivant de la revue du Club, en 1976 :
 » J’ai vendu mes trois Ferrari, la LM, la berlinette TDF châssis long et le prototype Super America, ainsi que ma Bugatti avec laquelle j’ai parcouru 15 000 km. Mon amour pour ces deux marques date de bien longtemps. En 1956, j’avais pu acheter les voitures de mes rêves : une Bugatti Type 57 et une Type 49, plus une Ferrari 750 Monza et une 212 Vignale. Je les ai vendues il y a dix ans. « 

retromobile-2015-bugatti-type-44-gangloff-005

Collection Seydoux
La Bugatti Coupé Profilée Gangloff sera proposée aux enchères au Pavillon Royal au Bois de Boulogne le 16 juin 1972 par l’entremise de la Maison Ader-Picard-Tajan. L’expert de la vente était Jean-Michel Cérède. Avec cette voiture, le nouvel acquéreur commence une collection impressionnante de Bugatti : Nicolas Seydoux, et son frère Michel, vont constituer une des plus fascinantes collections de Bugatti au monde, qui sera basée dans le garage du 56 rue Lafontaine, à Paris. Le Coupé Profilé Gangloff partagera cet écrin avec une bonne vingtaine de Pur-Sang de Molsheim.

La voiture est ensuite cédée au négociant Edgard Bensoussan, de British Motors, en 1988. Vers 1993, elle est exportée en Suisse dans la collection de Peter Aeschliemann, à Zurich, avec d’autres Bugatti parisiennes.

Le 7 octobre 1995, une vente aux enchères dans un centre commercial de cette ville inclut le coupé Gangloff, qui ne sera pas vendu. Le 28 avril 2001, le véhicule est proposé dans une vente organisée par le fameux marchand suisse Albrecht Guggisberg, à l’Oldtimer Galerie de Toffen.
Le Coupé Gangloff est acquis en 2006 par le négociant hollandais Jack Braam Ruben, avant de rejoindre en 2007 les garages de M. Puech, en Espagne.

retromobile-2015-bugatti-type-44-gangloff-009

Configuration actuelle
La voiture possède le carter moteur numéro 490, fabriqué le 15 octobre 1928 et destiné au châssis 44760 livré le 22 décembre 1928. Cette voiture, qui est un cabriolet décapotable, circula également à Lyon car elle est revendue d’occasion le 17 octobre 1933 à Garcin, quai St-Clair à Lyon, en provenance de M. Marmonnier, avenue de Saxe. Nous savons que 44784 est lyonnaise à nouveau en mai 1934, donc gageons que les deux autos vont bientôt faire connaissance si cela n’est pas déjà le cas. Le fait que le moteur de 44760, qui est une voiture lyonnaise, se retrouve dans le châssis du véhicule qui est équipé de la caisse de 44784 renforce l’hypothèse que le châssis est historiquement lié à 44784. Le pont arrière numéro 77 (rapport 12×50) provient de l’un des premiers Type 44 assemblé vers décembre 1927. La boîte de vitesse et son couvercle numérotés 270 proviennent d’une 3 litres construite vers mai 1928 dont le numéro de série doit se situer aux environs de 44520.
Le cadre de châssis 683 correspond assez bien à un véhicule aux éléments mécaniques proches de 270. L’identité originale du cadre receveur de la caisse 44784 pourrait être voisine de 44520.

retromobile-2015-bugatti-type-44-gangloff-002

Il n’y a aucun doute, la caisse présentée à la vente est bien une des très rares réalisations de Gangloff dans le domaine des  » Carrosseries Aérodynamiques « . Une caisse presque identique sur châssis Type 49 fut également livrée à Lyon en octobre 1933. Elle est décrite dans le livre du concessionnaire lyonnais comme « Gangloff. Conduite Intérieure Aérodynamique. Châssis 49551″. Cette voiture existe toujours, dans une collection aux États-Unis. Certains prétendent que ces caisses sont des adaptations postérieures et maladroites sur des châssis qui ne sont pas du bon modèle. Les documents fournis à la vente avec cette voiture prouvent le contraire. Une autre Bugatti Type 44, au moins, fut carrossée en Berline Aérodynamique par Gangloff, et portait le numéro de châssis 44419. Elle fut livrée à l’agent Bugatti de Troyes, Geoffroy frères, en avril 1928 avec la mention  » W  » pour Gangloff.

retromobile-2015-bugatti-type-44-gangloff-004

La caisse de 44784 fait suite à un dessin de Gangloff réalisé en petite série. Cette autre voiture carrossée par Gangloff laisse supposer que ce dessin profilé pourrait bien être une idée de Gangloff dès 1928. La Bugatti Type 44 profilée présentée à la vente Artcurial est le seul exemplaire subsistant sur ce type de châssis, d’une très petite série de profilés par Gangloff de Colmar qui pourrait avoir été produite dès 1928.

Le numéro de châssis n’est pas frappé 44784 mais il s’agit bien d’un châssis de Bugatti 44 d’origine de 1928, ainsi que les pièces mécaniques principales. La Carrosserie Gangloff est bien la seule et unique construite pour le châssis 44784.

D’après Pierre-Yves Laugier.

retromobile-2015-bugatti-type-44-gangloff-007

Cette Bugatti Type 44 Gangloff possède une carte grise espagnole. L’estimation de vente était de 250 000 – 300 000 €.

About The Author

Passionné de tout ce qui roule, vole et flotte.

Related posts

Leave a Reply