Lindner Coupé – La Porsche conçue en RDA et surnommée Porscheli

Lindner Coupé – La Porsche conçue en RDA et surnommée Porscheli

Lindner? Cela ne vous dit peut-être rien et c’est normal tout comme cette voiture – la Lindner Coupé – venant d’ancienne Allemagne de l’Est, là où elle a été conçue en 1954 par deux frères allemands rêvant de posséder leur propre voiture sportive. Ressemblant très fortement à une Porsche 356, elle a été adoubée par Ferry Porsche à qui les deux créateurs ont présenté la voiture avant d’en faire 13 exemplaires, se faire emprisonner et se la faire confisquer par la Stasi…

Histoire et construction du prototype de la Lindner Coupé
L’histoire de la marque Porsche et des véhicules liés de près ou de loin à la marque est pleine de surprises. En voici une nouvelle, venue d’ancienne RDA (République Démocratique Allemande ou DDR en allemand) au début des années 1950, peu de temps avant la création de cet état qui était devenu un régime autoritaire politiquement affilié à l’ancienne URSS communiste.

Knut et Falk Reimann étaient des frères jumeaux nés en 1932 et habitant à Dresde, en RDA. Ils avaient tous les deux étudié l’ingénierie automobile. Dès leur plus jeune âge, ils rêvaient de posséder leur propre voiture de sport. Mais en ex Allemagne de l’Est, alors sous régime communiste, tout était rationné et rare. L’accès à la propriété était réservé à certaines personnes proches du pouvoir ou riches. A notre époque, cela peut paraître surprenant, mais dans les années 1950 jusque dans les années 1980, des millions d’allemands ont vécu dans ce système communiste que l’on retrouve encore en Corée du Nord et même récemment à Cuba. Difficile d’imaginer cette situation pour nous les occidentaux!

Ainsi par manque d’argent et le fait d’être né du « mauvais côté » de l’Allemagne, les frères jumeaux Reimann encore étudiants ont pour ambition de construire leur propre voiture de sport.

Pour cela, il fallait trouver des pièces et une « bonne base » de départ. A l’Est, c’était la débrouille vu que tout était rationné et rien de venait de l’Ouest.

Nous sommes au début des années 1950 et plus précisément en 1953. La Seconde Guerre Mondiale avait pris fin 8 ans auparavant et il restait encore des reliques de la guerre comme des épaves de véhicules militaires abandonnés. Lors d’une promenade dans une forêt au sud de Berlin, ils font une découverte qui va permettre de démarrer cette belle aventure : les restes d’une VW Kübelwagen Type 82 de la Wehrmacht, la Jeep de l’armée allemande du IIIème Reich créée par Ferdinand Porsche. Ils ont ainsi recueilli tout ce qui pouvait l’être, dont le moteur de 1131 cm3 développant 24,5 ch, la boîte de vitesses et le châssis. La carrosserie était irrécupérable.

Ayant dorénavant une base de travail, qui plus est d’origine Volkswagen, similaire à celle d’une Porsche 356, les deux frères encore étudiants et âgé de 21 ans ont imaginé une voiture de sport ayant les lignes de la Porsche 356, tout en se basant sur les proportions de ce châssis agrandi de Type 82 (en longueur et en largeur) que celui de la 356. A cette époque, l’Allemagne de l’Est n’était pas encore totalement fermée de l’Allemagne de l’Ouest et ils avaient déjà vu et admiré la Porsche 356 en visitant Berlin.

Les deux frères n’ayant pas d’argent, d’atelier et d’outils pour créer leur voiture, ils se sont naturellement adressés à un atelier de carrosserie voisin, la Karosserie & Fahrzeugbau Arno Lindner à Mohorn près de Dresde afin de les aider à construire une carrosserie en forme de coupé et ainsi leur voiture.

Avant la guerre, Arno Lindner (le fondateur) construisait des carrosseries personnalisées pour voitures et autocars. Arno Lindner était un artiste en tôlerie, réalisant de très belles courbes avec beaucoup de dévouement. Mais les temps étaient devenus difficiles dans les années d’après-guerre.

Aux lendemains de la guerre, la ville de Dresde (quasiment détruite par les bombardements) est devenue une partie de la zone occupée soviétique et plus tard une partie de la République démocratique allemande (RDA). Comme il ne restait plus que quelques voitures et quasiment aucun matériel disponible, Arno Lindner et son fils Helfried, qui avait également appris la construction de carrosseries, fabriquèrent dans leur usine avec 15 artisans des voitures de bois et d’acier comme avant la guerre.

Après avoir passé un accord et déboursé 3500 Ostmark, les travaux ont pu démarrer chez Lindner pour ensuite travailler dans la société. Ce n’était pas un contrat lucratif pour Lindner mais c’était une bonne occasion de se faire connaître.

Après avoir finalisé les plans de construction, il fallait trouver du métal à façonner, matière rare à cette époque. Le salut est venu des capots de 15 camions Ford endommagés et laissés à l’abandon.

Les différentes pièces ont été recherchées et optimisées partout, jusqu’à ce que le châssis soit fonctionnel. Ensuite, il a fallu s’attaquer à la carrosserie. Les pièces métalliques ont été soudées ensemble à la main afin d’obtenir des panneaux de carrosserie. Ce fut un travail immense et difficile, car chaque cm de métal était récupéré et soudé ensemble, formant une véritable mosaïque de métal.

Façonnée à la main sur un cadre en bois sculpté avec une structure tubulaire en acier à l’avant et à l’arrière, la carrosserie est 30 cm plus longue que celle d’une Porsche 356. Elle a été installée sur un cadre en bois de frêne monté sur le châssis de la Type 82. La voiture prenait forme lentement.

En 1954, après un millier d’heures de travail acharné, la voiture fut terminée à la grande joie des frères Reimann. Ils avaient réussi à parfaitement reproduire les courbes élégantes de la 356, sauf qu’elles étaient légèrement plus larges et 30 centimètres plus longues. Ce premier modèle proposait 4 places dans un confort relatif. Ses dimensions étaient de 4,15 m (longueur) x 1,68 m (largeur) x 1,34 m (hauteur).

Cette voiture était incroyable : un symbole de l’opulence de l’Ouest dans un état composé à grande majorité d’ouvriers et de paysans.

Voyage à l’Ouest avec la Lindner Coupé
Une fois la voiture terminée, les deux frères ont eu comme idée d’essayer et de profiter de leur nouvelle voiture en voyageant à plusieurs reprises à travers l’Europe de l’Ouest, de l’autre côté du rideau de fer encore bien perméable. Vu qu’ils habitaient à Dresde en Allemagne de l’Est, ils ne pouvaient pas passer à l’Ouest si facilement, même pour voyager.

Le mur de Berlin n’étant pas encore érigé (il l’a été le 13 août 1961), ils ont trouvé une astuce pour aller à l’Ouest : faire passer leur voiture pour une voiture d’Allemagne de l’Ouest.

La voiture étant fabriquée artisanalement, elle n’a pas de marque reconnue, hormis celui du châssis de la Kübelwagen. Ils trouvent le nom Porscheli (contraction de Porsche et de Lindner) pour faire de fausses plaques d’immatriculation afin de tromper les gardes frontières Est-allemands. Ce nom sera par la suite gardé comme surnom de la voiture.

Ils ont également partagé un permis de conduire à deux pour faire des économies.

Avec ce véhicule sous motorisé (24,5 ch), pouvant atteindre tout de même 120 km/h, les deux frères et leurs compagnes respectives ont quitté Dresde pour se rendre d’abord en Belgique à Bruxelles, puis en France et notamment à Paris et à Nice pour ensuite se rendre en Italie et faire une halte à Rome. Ils ont également traversé les Alpes en s’arrêtant à Genève et en se rendant en Autriche.

Un peu plus tard, les deux frères se sont rendus à Zuffenhausen chez Porsche en juillet 1956.

Un fois arrivé chez Porsche et après de longues négociations, ils ont pu faire un petit tour de l’usine. Ne pouvant pas voir Ferry Porsche afin de le rencontrer et lui présenter la Lindner Coupé, ils ont laissé une lettre à son attention afin de lui demander d’acheter des pièces afin d’améliorer leur petit moteur VW pour en faire un moteur se rapprochant de celui de la Porsche 356.

Quand Ferry Porsche a entendu parler de cette imitation faite en Allemagne de l’Est, il n’a pas du tout apprécier. Mais après avoir eu des retours sur la qualité de leur réalisation (qui n’était pas passée inaperçue lors de leur présence à l’usine Porsche), son irritation s’est transformée en admiration.

Quelques semaines plus tard, ils ont reçu une lettre de la secrétaire de Ferry Porsche s’excusant de la non disponibilité de Ferry Porsche qui était aux 24 Heures du Mans et qu’il les remerciait pour leur lettre du 17 juillet 1956.

Impressionné par cette réplique, Ferry Porsche a même approuvé le surnom de ce véhicule : Porscheli.

Comme cela était mentionné dans cette lettre du 26 juillet 1956, Ferry Porsche a fait envoyer à la société Eduard Winter (garage VW à Berlin Ouest) quelques pièces mécaniques de Porsche 356 (des pièces d’origine usagées, notamment des pistons et des cylindres pour le moteur) afin qu’ils puissent faire du moteur de 1131 cm3 un moteur plus puissant et à la hauteur de leur travail sur cette voiture Made in DDR. La lettre mentionne qu’ils devaient payer les frais de transport. De ce garage berlinois, les frères Reimann devaient et ont trouvé un moyen de faire entrer les pièces en Allemagne de l’Est.

Production de 13 modèles Porscheli par la carosserie Arno Lindner
De retour dans leur pays, Lindner et les frères Reimann se sont lancés dans la construction de 13 autres exemplaires de la Porscheli. Lors de la négociation pour la construction de leur voiture, les deux frères, devenus salarié de la société Lindner, étaient précédemment tombés d’accord sur un arrangement avec Arno Lindner. La carosserie Arno Lindner avait ainsi le droit de produire des exemplaires et de les commercialiser. Et ce fut chose faite de 1954 à 1959.

Se basant sur le modèle originale, 13 modèles ont été construits en se servant d’un châssis de VW Kübelwagen type 82 ou celui des toutes premières VW Coccinelle. La carrosserie était en bois et en acier très fin (1 mm!) à cause de la pénurie d’acier dans le pays.

Dénommée officiellement Lindner Coupé le 30 juin 1954 par la Volkspolizei à Dresde et ayant une autorisation de fabrication officielle des autorités, la voiture a été présentée au grand salon artisanal de Dresde « Dresdner Handwerkschau » en 1954. Quelques riches amateurs ont été intéressés, comme Miersch (propriétaire d’une fabrique de chaussures) qui en acheté 3. Ces acheteurs se trouvaient uniquement en RDA, principalement à Dresde et à Berlin. Dans ce pays sous gouvernance communiste, le prix d’une de ces voitures valait plus que de l’or.

Les frères Reimann et Arno Lindner ont mis en place un système afin de faire venir clandestinement des pièces Porsche à travers la frontière Est-allemande (via le garage VW de Berlin) afin d’assembler les modèles Lindner Coupé pour de riches clients est-allemands avant qu’ils ne manquent de matériaux comme l’acier. La production a dû s’arrêter en 1959.

Alors que le régime Est-allemand est de plus en plus dur, le mur de Berlin est érigé en 1961 pour empêcher l’afflux nombreux des personnes vers l’Ouest. L’ordre est donné de tirer à vue sur quiconque tente de fuir l’Allemagne de l’Est.

En 1961, les deux frères ont été arrêtés par la Stasi (abréviation de « Staatssicherheit » – la police politique, de renseignements, d’espionnage et de contre-espionnage de la RDA) alors qu’ils planifiaient de fuir définitivement vers l’Ouest. Leur manège à la frontière ne passait plus inaperçu, après des années de combines. Ils ont été envoyés en prison à Berlin. Un an et demi plus tard, ils ont été libérés. A leur sortie de prison, les jumeaux se sont séparés : Falk s’est installé en Hongrie à Budapest, Knut est resté en Allemagne à Berlin. Ils ont définitivement abandonné le secteur automobile.

Leur belle voiture avait été confisquée et ils ne la reverront plus. Le pilote de course Siegmar Bunk, travaillant pour Melkus, un constructeur de voitures de sport et course basé à Dresde, avait récupéré leur voiture avant de la vendre en pièces. Depuis, personne ne sait ce qu’est devenu la voiture ou du moins ce qu’il en restait.

Sortie de grange et restauration de la Porscheli n°4
Plus de 60 ans plus tard, 3 exemplaires ont étonnamment survécu aux années et à la rouille. Le premier exemplaire et le plus connu est celui possédé par Miersch de couleur blanche. Actuellement en Allemagne, elle se nomme (et s’est écrit sur le capot moteur) « Miersch ». Une autre est aussi présente en Allemagne.

En 2011, la numéro 4 (la quatrième produite) a été retrouvée en train de pourrir et le mot n’est pas exagéré!!! Il s’agissait de la voiture de démonstration d’Arno Lindner qui a ensuite fait quelques courses automobiles dans une livrée jaune et noire.

Elle fut achetée en 2011 pour 3000 euros à l’état d’épave (totalement rouillée) par l’autrichien Alexander Diego Fritz, juriste habitant à Vienne. Vu l’état de la voiture lors de son achat par Fritz (métal totalement rouillé, bois pourri), ce dernier a fortement hésité de la restaurer vu les milliers heures de travail faire dessus pour lui redonner une retraite bien méritée. Pourtant elle roulait!!!

Après avoir cherché l’histoire de sa voiture, il est entré en contact avec les frères Reimann qui étaient âgés de 80 ans. La décision fut prise de la rapatrier à Budapest chez Absolut Classic qui était capable de la restaurer pour un coût raisonnable. Falk Reimann, habitant à côté, pouvait suive la restauration de près, lui qui a conçu la voiture avec son frère Knut décédé en 2013.

Comme il le disait : « C’est un miracle qu’une telle voiture ait refait surface. », vu la qualité des matériaux utilisés à l’époque.

Le temps n’a pas été miséricordieux pour elle. Mais même après 52 ans, Falk Reimann a immédiatement reconnu son amour d’enfance.

Le grand et mince homme a balayée la tôle rouillée et s’est souvenu du passé. Plus de 60 ans auparavant, lui et son frère jumeau Knut ont partagé le rêve de posséder leur propre voiture. Et ce fut chose faite!

En 2016, après plus de 7000 heures de travail sur 4 ans, la voiture roule de nouveau, à la plus grande fierté de Falk Reimann et de Alexander Fitz qui ont immortalisé ce moment par des photos. Malheureusement, Falk Reimann est décédé juste avant la fin de la restauration en avril 2016.

La Porscheli est animée par un moteur VW à 4 cylindres amélioré par des pièces provenant de chez Porsche. Sa puissance est de 45 ch, permettant d’atteindre une vitesse maximale de 140 km/h, son poids total étant de 730 kg.

Présentée au Concours d’Elegance « Masterpieces & Style » au Schloss Dyck en juin 2016, cette voiture a remporté la catégorie « Coupes & Cars of Class – Two Door Cars with Special Style 1948–1955 ».

Une très belle histoire
« Si vous mettez des limites aux gens, leur ingéniosité devient illimitée ». Cette phrase résume à elle seule l’histoire des frères Reimann et du carrossier Lindner. Cette histoire montre que tout est possible dans un pays autoritaire comme la RDA avec de l’enthousiasme, du bon sens et de la créativité. Après des jours de recherche et de lecture de nombreux documents et articles publiés dans la presse allemande en 2016 et 2017, je rend ainsi hommage à ces hommes qui ont réalisé leurs rêves avec les moyens du bord.

Un livre a d’ailleurs été publié en 2016 sur l’histoire de ce modèle particulier, méconnu encore il y a un an : « Lindner-Coupé – DDR-Porsche aus Dresden de Alexander Diego Fritz paru chez Verlag Brüder Hollinek ». En attente de le recevoir, je vous le présenterai avant la fin de l’année.

Photos : Reimann / Alexander Diego Fritz / D.R.

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Passionné de tout ce qui roule, vole et flotte.

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