Trois Porsche 911 S engagées dans le Rallye London-Sydney Marathon 1968

Trois Porsche 911 S engagées dans le Rallye London-Sydney Marathon 1968

Trois Porsche 911 S ont été engagées au Rallye-marathon Londres-Sydney de 1968, traversant de nombreux pays comme l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde, faisant de ce rallye une course automobile à la fois difficile et audacieuse. Pour l’occasion, des Porsche 911 S ont été spécialement préparées, notamment au niveau de la carrosserie (arceau extérieur de protection, pneus de secours, échappement déporté, jerricans d’essence, …

Un rallye très original
Ce rallye n’a rien avoir avec une simple balade touristique ou un simple road trip, c’est une véritable course automobile de haut niveau. Lors d’un repas en 1967, le patron du journal londonien The Daily Express – Sir Max Aitken – et deux de ses éditorialistes Jocelyn Stevens et Tommy Sopwith ont eu l’idée d’organiser un rallye afin de rallier par la route Londres au Royaume-Uni à Sydney en Australie. Le pays traversant une crise financière, ce rallye avait pour objectif de booster les exportations commerciales britanniques grâce à la médiatisation de l’épreuve à travers les pays traversés.

En 1968, 98 participants ont pris le départ de la première édition de cette course longue de 11 200 km (se tenant du 24 novembre au 18 décembre 196), avec des voitures d’usine largement personnalisées et provenant de sept nations, avec quelques marques comme Porsche, BMC, Simca, Hillman, Moskvitch et DAF.

Certaines frontières dans les zones de conflit ont été ré-ouvertes pour la première fois depuis des lustres; le Daily Express et le Sydney Telegraph, en tant que sponsors de l’événement, avaient fait leurs devoirs diplomatiques.

John Davenport et Gunnar Palm ont été chargés de préparer un roadbook avec différents cas de figure face à un imprévu : choisir entre la route du nord (au-dessus des montagnes d’Elburz) ou celle du sud (via le désert) entre Téhéran et Kaboul.

Afin de rejoindre la Côte Ouest de l’Australie par la mer, un bateau attendaient les équipages sur le port de Bombay, le S.S. Chusan.

Une fois arrivés là-bas, les équipages devaient participer à une série d’étapes de sprint à travers le continent australien, dans des régions assez sauvages.

Des Porsche 911 S spécialement préparées et équipées
En 1968, la Porsche 917 était en cours de préparation avant son présentation officielle au salon automobile de Genève 1969. Porsche ne s’intéressait pas forcément au rallye.

Sobiesław Zasada, un pilote polonais, avait entendu parler d’un nouveau rallye et a réussi à convaincre Porsche de le soutenir dans cet événement en préparant sa propre Porsche 911 S.

Un autre pilote, Edgar Herrmann, basé au Kenya, avait pris possession début 1967 d’une Porsche 911 T rouge de 1966 directement à Stuttgart.

Son intérêt était de participer au East African Safari Rally en 1968. Avant cela, il avait décidé de « roder » sa 911 dans d’autres événements. Ayant au vent de ce rallye, il a pris contact avec Porsche pour faire préparer sa voiture dans la même configuration 911 S que celle de Zasada. Idem avec la Porsche du Britannique Terry Hunter.

La préparation des voitures s’est faite en même temps dans l’usine de Stuttgart-Zuffenhausen. Plus de 40 modifications spécifiques ont été réalisées comprenant notamment certains soudures, un arceau extérieur, le renforcement des amortisseurs, le montage d’un réservoir de carburant de 200 litres pour une autonomie de 800 km, l’installation d’un embrayage renforcé.

Le moteur à six cylindres à plat de 1991 cm3, qui développait normalement 170 ch a reçu un taux de compression plus bas et délivrait environ 160 ch  pour s’assurer qu’il fonctionnerait avec du carburant de moins bonne qualité en fonction des pays traversés.

La boîte de vitesses a également été préparée avec un ensemble d’engrenages à rapport étroit et un différentiel à glissement limité.

Porsche a décidé de bien protéger les voitures engagées contre un maximum d’éléments, alors que la majorité des 98 participants de la course était légèrement équipée.

Une collision avec un grand kangourou dans une voiture de location lors d’une reconnaissance en Australie a inspiré Huschke von Hanstein, le patron de la compétition chez Porsche, à construire un arceau de protection avec des grillages amovibles sur le pare-brise de la voiture.

Profitant pleinement de cette superstructure extérieure, les techniciens Porsche l’utilisèrent également pour y fixer quatre roues de secours cloutés sur les extrémités (durant la course, au fil des crevaisons, les roues étaient moins présentes sur le toit).

Trois jerricans de 20 litres chacun, deux contenant du carburant et un de l’huile, pouvant alimenter le moteur par gravité via des durites si les systèmes de carburant et de lubrification d’origine étaient endommagés.

La dernière modification effectuée par Porsche est l’ajout de rallonges d’échappement souples se fixant sur les sorties d’échappement de la Porsche 911 S. Ces rallonges permettaient de passer des cours d’eau en faisant évacuer les gaz d’échappement en hauteur sur le toit. Les trois voitures étaient peintes en rouge.

Chaque voiture avait quelques outils spécifiques afin de parer à différentes situations : une grande scie à métaux, une hache, une scie à bois pour deux personnes et même un treuil de deux tonnes.

Sur les trois voitures préparées pour le Rallye-marathon Londres-Sydney, une seule Porsche 911 S (n°58) pilotée par l’équipage polonais Sobiesław Zasada / Marek Wachowski (champion d’Europe en 1967 dans une Porsche) était une voiture d’usine. Les deux autres voitures identiques des équipages  Terry Hunter / John Davenport (voiture n°59) et Edgar Herrmann / Hans Schuller  (voiture n°55) étaient soutenues par des sponsors privés.

La Porsche n°55 portait l’immatriculation « UL-Y 826 », la n°58 « S-H 7737 » et la n°59 « S-H 7987 ».

L’un des plus grands dangers de cette course était les éléments pouvant percuter les voitures (rochers, animaux comme les kangourous, branches, …), comme en témoigne les protections extérieures (arceau fait de tubes métalliques, grilles, grillages).

En 1968, la Porsche 911 était l’un des rares coupés a participé à course. Chaque équipage des Porsche 911 S était constitué de deux personnes devant se relayer nuit et jour, mais un troisième membre était envisagé pour palier au manque de sommeil et aux imprévu durant la course afin de porter main forte, par exemple si la voiture s’embourbait afin de la pousser. Finalement, le poids et la place supplémentaire requis ainsi que la bonne entente du trio ont fait pencher la balance dans un équipage composé de deux personnes pour les trois voitures Porsche portant les numéros 55, 58 et 59. D’autres équipes avaient jusqu’à 4 personnes par voiture dans une équipe féminine.

Une course difficile avec des règles strictes
Cette course était difficile pour les équipages et leurs montures. Des règles strictes devaient être suivi à la lettre sous peine de disqualification. Chaque équipage devait être malin et savoir improviser. L’entraide entre équipes était possible mais la traction était interdite. En revanche, un autre équipage pouvait aider en creusant, en poussant, en prêtant des outils, …

Dès que l’Europe fut franchie, les routes et les conditions de roulage furent plus difficiles. En Turquie, rouler de nuit à grande vitesse était très risqué à l’époque. Du sable encrassait chaque prise d’air et se logeait dans les freins lors de la traversée du désert persique au nord. Dans certaines traversées de villages, les équipes faisaient le plein de carburant supplémentaire, avec des accueils très chaleureux en attendant de refaire le plein.

Dès à cette époque, des conflits étaient présents dans certains pays et traverser certaines frontières fut assez émouvant, notamment entre l’Iran et l’Afghanistan, puis en passant à côté de Kaboul et en traversant le Pakistan. Les journaux du monde entier de l’époque avaient rapporté que les courses automobiles avaient ouvert les portes à un avenir florissant et paisible.

Dans les zones plus plates du Pakistan et de l’Inde, les équipages ont rencontré un phénomène qu’aucun d’entre eux n’avait prévu : des milliers, des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de personnes les acclamant sur leur passage voire parfois leur jetant des pierres. Ils n’avaient aucune idée de ce qui se passait. Il fallait faire très attention de ne blesser personnes car aucune barrière ou sécurité des spectateurs n’était présente, et encore moins les autorités locales. Apparemment, aucun accident n’a été déploré, ce qui est rassurant.

A leur arrivée au port de Bombay en Inde, la soixantaine d’équipages restant ont embarqué dans le bateau S.S. Chusan, qui a ensuite pris le cap vers la Côte Ouest de l’Australie. Aucune réparation n’était permise à bord du bateau durant la traversée.

Une fois arrivé sur le continent australien, les dernières étapes de ce rallye très éprouvant ont été atteintes par les équipages très diminués physiquement et psychologiquement. Il restait 4 000 km à atteindre afin de rallier la ligne d’arrivée à Sydney. La course a repris son cours avec une très forte rivalité entre les leaders. C’est l’équipage britannique Andrew Cowan / Brian Coyle avec leur Hillman Hunter qui a finalement gagné cette course folle. 56 équipages ont terminé la course.

L’équipage Herrmann / Schuller a pris la quinzième place.

Enfin, l’équipage Porsche Zasada / Wachowski est arrivé quatrième après un problème de frein et une erreur de calcul lors d’un contrôle horaire. L’équipage Hunter / Davenport avait accumulé trop de sable dans les prises d’air, a eu une casse de piston et a ainsi dû abandonner la course à Kaboul.

Ce rallye spécial a eu 4 autres éditions en 1977, en 1993, en 2000 et en 2004.

Que sont devenus ces trois Porsche 911 S?
Après son retour en Allemagne, la voiture #59, pilotée par l’équipage Hunter / Davenport a été achetée par un automobiliste de Hambourg. Il s’en est occupée pendant des décennies, avant qu’un incendie détruise une grande partie de la voiture. La voiture fut ensuite récupérée par Porsche qui souhaite la restaurer via plusieurs départements Porsche et l’exposer au Porsche Museum.

Les deux autres Porsche ont été vendues en Australie à la fin du rallye Londres-Sydney.

L’une d’elles, la Porsche 911 S #55 a été complètement restaurée au milieu des années 2000 et appartient à un collectionneur privé. La troisième est portée disparue en Australie.

La Porsche 911 #55, celle de Hermann, a été vendue à l’importateur Porsche Alan Hamilton, qui y voyait une opportunité de faire des rallyes avec elle.

Après avoir converti la 911 en conduite à droite et après avoir participé à une série de courses en 1969, il a aligné cette voiture à la course de Rallycross à Calder en novembre 1969 ainsi que dans d’autre rallyes. La voiture a ensuite participé au Trial Ampol Round Australia en 1970. Pour cet événement, la voiture a reçu une nouvelle teinte vert et elle a connu des problèmes mécaniques. La voiture a ensuite pris sa retraite. Les 16 prochaines années, elle fut ensuite vendue à différents propriétaires qui l’ont légèrement utilisée. Elle fut ensuite stocké dans un mauvais état.

Philip Bernadou, membre du Club Porsche, l’a vu en 1986 et a été fasciné par son histoire. Il a négocié un prix d’achat, a dépouillé la voiture et l’a reconstruite aussi près que possible de ses spécifications d’origine, changeant sa couleur en se basant sur le code couleur présent sur le chambranle de la porte.

La voiture a retrouvé sa configuration sans avoir les équipements extérieurs. En 1987, il a décidé de l’engager dans des courses Porsche Cup. Il a d’ailleurs gagner avec elle la catégorie C dans la nouvelle série.

Après avoir participé à plusieurs séries de courses et à un certain nombre d’événements du Club Porsche et de rallyes historiques, Bernadou alors vendu la voiture dans un état très usé à un passionné du Sud de l’Australie. Mais après avoir été découragé par le projet de restauration, la voiture est passée par une autre paire de mains avant d’être acquise en 2005 par Ian Henderson.

Henderson a un penchant particulier pour les Porsche de course avec une histoire australienne et son garage abrite de magnifiques exemplaires Porsche : une 906, une 911 RSR 2.8 victorieuse en Australie ainsi qu’une 934 qui a remporté le championnat australien de voitures de sport en 1977 et en 1980 entre les mains respectives d’Alan Hamilton et Allan Moffat .

Cependant Henderson a vu le potentiel et le symbole historique de la 911 London-Sydney Marathon : une véritable voiture de rallye préparée par Porsche. Il a lancé le projet de reconstruction de la voiture comme elle l’était quand Edgar Herrmann l’a pilotait en 1968.

Un grand chantier de restauration a eu lieu, remettant la voiture en conduite à gauche, en enlevant tous les équipements récent dont l’intérieur datant des années 1970, en l’équipant d’un arceau cage de type 911 R de l’époque et en remplaçant le moteur de 2,2 litres qui avait été porté à 2,5 litres par un Flat 6 de 2,0 litres, fourni en pièces détachées avec la voiture lors de son achat.

Le différentiel à glissement limité manquait également, mais heureusement, la boîte de vitesses à rapport étroit était inchangée.

Une première découverte au cours du processus de restauration fut que le garde-boue avant gauche était différent du droit, ce qui a été corrigé par la suite.

Concernant la couleur, celle retenue par l’ancien propriétaire Bernadou n’était pas la bonne, ce qui a été confirmé par des échantillons de peinture trouvés lors du démontage de la voiture. Cette dernière était peinte à l’origine en rouge Polo et non en rouge Monaco comme le croyait Bernadou. La voiture fut entièrement repeinte dans la bonne teinte rouge Polo.

L’intérieur a retrouvé des sièges de 911 R de l’époque intérieur. Alors que l’arceau extérieur était depuis très longtemps démonté et parti à la ferraille par Alan Hamilton, une réplique avait été réalisée par Bernadou. Cette pièce a ainsi été repeinte et rééquipée par Henderson.

Le moteur a ensuite été reconstruit selon les spécifications d’origine de la Porsche 911S de 1967 et il a démarré pour la première fois sous sa nouvelle forme mi-2006.

En 2007, la voiture fut mise en vente. Elle est de retour en Europe et fut exposée au Techno Classica 2012 puis au Retro Classics 2016.

Photos : Porsche / McKlein Photography / 4Legend.com / D.R.

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