Bugatti Type 51 Grand Prix de 1931 – Châssis n° 51128 dans son état d’origine

Bugatti Type 51 Grand Prix de 1931 – Châssis n° 51128 dans son état d’origine

A l’occasion du salon Rétromobile 2019, Artcurial proposait la vente d’un véhicule exceptionnel qui est dans son jus, jamais restauré ou repeint : la Bugatti Type 51 Grand Prix de 1931 (châssis n° 51128). Découvrez sa longue histoire.

Cette voiture a une histoire passionnante, contée par l’un des spécialistes français de Bugatti : Pierre-Yves Laugier.

Après avoir livré une première Bugatti Type 51 en France, fin avril 1931 au Comte Stanislas Czaykowski, l’Usine prépare en mai deux nouvelles voitures pour le marché français. Elles sont destinées aux deux pilotes Bugatti amateurs les plus titrés et les plus expérimentés du pays : Jean Gaupillat et Marcel Lehoux.

La Bugatti Type 51 à moteur numéro 9 est assemblée pour Gaupillat, tandis que Lehoux se voit attribuer la voiture à moteur 10. Cette dernière reçoit, dans la liste chronologique des commandes, le numéro de châssis 51128. Elle est construite à la demande du client et n’est pas prise parmi les voitures d’Usine préparées pour la saison 1931. Elle est donc vierge de toute participation en course, quand elle est livrée à Paris, le premier Juin 1931, à Marcel Lehoux, algérois d’adoption qui possède un grand atelier de mécanique générale, au 13 rue Auber à Alger. La Bugatti lui est vendue au prix fort de 140 000 Frs.

Marcel Lehoux (1889-1936)
Originaire de Blois dans le Loir et Cher, il nait dans cette ville le 3 avril 1889. Il part faire fortune en Algérie au sortir de la guerre de 1914-1918.

Voici quelques extraits de son portrait par le journaliste Maurice Henry en 1933 : « Vous connaissez tous ce petit bonhomme – petit par sa taille mais combien grand par ses qualités – qui, depuis une dizaine d’années, et même davantage, fréquente très assidument les courses automobiles dans lesquelles il a remporté maints succès, et qui n’a nullement l’intention de s’arrêter en si bon chemin. M. Lehoux est venu à la course par goût de la lutte, de la compétition, spontanément, sans réfléchir aux difficultés et ennuis qui pouvaient l’attendre et qui n’ont pas manqué de l’assaillir, car Lehoux n’a jamais été conseillé ni guidé par personne : seul, il s’est frayé un chemin. Avouez qu’il a su se bien conduire – au double sens du terme. Lehoux, marié, père de deux grands enfants, est natif de Blois et a été élevé dans cette belle Touraine dont il tient à conserver la nationalité. C’est au lendemain de la guerre qu’il est allé se fixer à Alger où il a créé un atelier de constructions mécaniques qui lui prend le meilleur de son temps. Ajoutez les moments passés à la direction de son affaire industrielle, à ceux qui le retiennent dans les courses, et vous aurez devant vous un homme fort occupé. Et Lehoux s’en trouve très bien ainsi, l’inactivité et son tempérament étant incompatibles. Après avoir pris part à des épreuves locales avec ses voitures de tourisme, Lehoux se rend acquéreur, en 1922, d’une 1.500 Bugatti type Brescia compétition, avec laquelle il s’appropria tous les records dans les courses régionales. Deux ans plus tard, avec cette même voiture, il gagna son premier grand prix à Casablanca. Par la suite il abandonna sa 1.500 pour piloter une voiture plus rapide, restant fidèle cependant à Bugatti. C’est dans le sport automobile qu’il a trouvé ses plus grandes joies et cela, s’il ne le dit pas, on le devine dans son regard. Lehoux est un garçon d’une correction parfaite qui s’éloigne des « petites combines » et ne veut pas les connaitre. De tous les organisateurs il n’en est pas un seul qui peut se rappeler une difficulté qu’il ait eue avec lui ; aussi la participation de Lehoux est toujours recherchée. »

Le 3 Juin 1931, la Bugatti 51128 est immatriculée dans le département de la Seine, sous le numéro 7958 RE 9. Lehoux dispose sans doute d’un pied à terre dans la capitale. Sa 35B – châssis 4935 – avait aussi été immatriculée à Paris : 2938 RD 2 en 1929. Des deux type 51 construits en mai 1931, 51128 – moteur 10 – est la première sortie: le 1er juin, et celle de Gaupillat: 51130 – moteur 9 -, ne sera livrée que le 13 juin.

Ainsi M. Lehoux peut aligner son nouveau Pur-Sang au départ du Grand Prix de Genève le 7 juin. Au terme d’une très belle course de 150km, où il mena de bout en bout, Lehoux remporte la victoire en 1h 47 min, devant A. Lumacchi sur Type 35B. L’autre Bugatti Type 51 (châssis 51126) engagée dans l’épreuve, pilotée par S. Czaykowski, sera victime d’une sortie de route.

Le 21 juin, lors du 25ème Grand Prix de l’ACF à Montlhéry, Lehoux partage le volant de 51128, numéro de course 52, avec son grand ami le rouennais Philippe Etancelin. Au 15ème des 100 tours que comporte l’épreuve, ils abandonnent sur ennui mécanique après avoir tenu la 6ème place pendant toute la 1ère heure de course. Aux essais Lehoux avait confié à C. Faroux : « Etancelin et moi pensons que 10 heures, c’est vraiment trop long pour une course de vitesse, cinq heures me semblent bien suffisantes. »

Deux semaines plus tard, le 5 juillet, Lehoux offre une 2ème victoire à 51128, lors du 7ème Grand Prix de la Marne disputé sur le circuit de Gueux. L’abandon prématuré de Chiron sur la seule Type 51 Usine et celui du Cte d’Arnoux sur une autre Type 51, réduisit la bataille des doubles arbres Bugatti à un duel entre Czaykowski et Lehoux. A l’arrivée, la Maserati Type 26 de Dreyfus s’intercale entre les deux Bugatti. Lehoux gagne sur ce circuit rapide à 143km/h de moyenne, sans battre le record de Chiron en 1928, sur Type 35B à 146km/h. « Le très fin pilote algérois vient de nous prouver qu’il était un très grand conducteur et que, pour peu que la chance veuille bien l’aider un peu, il pouvait triompher de façon splendide. Il mena sa course de façon remarquable, augmentant sa moyenne à chaque tour. Le vainqueur fut fleuri et complimenté par Mr Paul Marchandeau (maire de Reims), le vicomte de Rohan et le préfet de la Marne. »

Au Grand Prix d’Allemagne, le 19 juillet, au Nürburgring, Lehoux est entouré par cinq Type 51 d’Usine et les engagements privés de Von Morgen-51123 et Wimille-51130. Peu de temps après la mi-course, l’algérois est victime d’une sortie de piste. « Les Bugatti par suite d’un coefficient d’adhérence diminué n’ont jamais pu pousser à fond sous la pluie…nous n’avons eu à déplorer qu’une chute de Lehoux, lequel marchait très fort et qui n’a heureusement que peu touché. »

Le Circuit du Dauphiné, se court pour la 2ème fois aux portes de Grenoble le 2 août, sur une piste triangulaire de 5 300m au tour. En première ligne Lehoux, avec une 51128 réparée, est aux côtés de Michel Doré sur Type 43, en embuscade les Type 51 du Cte d’Arnoux et du Comte Czaykowski. L’abandon du Comte polonais offre à Lehoux la 2ème place derrière la Monza d’Etancelin.

Nous retrouvons les mêmes protagonistes au 7ème Grand Prix du Comminges le 16 août à St Gaudens. Etancelin gagne à nouveau mais Czaykowski se place devant Lehoux, et D’Arnoux finit 4ème à distance des hommes de tête. « Lehoux sort indemne dans sa réputation de cette défaite, car il ne fut battu que sur une crevaison, deux tours avant la fin ; il ne lui était pas possible de songer à rejoindre. Crever dans de telles conditions, c’était succomber. Le brave et fougueux Lehoux, une fois de plus a été malchanceux, mais une fois de plus il fut audacieux, adroit, batailleur et la course superbe qu’il menait avec cette résolution rageuse qu’on lui connait connut l’accueil enthousiaste qu’elle méritait. »

Le 6 septembre, Marcel Lehoux figure honorablement dans la première manche du 4ème Grand Prix de Monza derrière deux Maserati et une Alfa Romeo officielles.

Dans la finale, 51128 se classe 6ème et seule Bugatti 2 Litres 300 rescapée.
L’algérois obtient son dernier podium de l’année lors du Grand Prix de La Baule, disputé le 13 septembre, sur la plage que domine l’Hôtel Hermitage. 51128 semble un peu lente comparée à la Type 51, engagée par l’usine pour Williams. « Lehoux a paru extrêmement gêné par défaut de visibilité et d’autre part, sa voiture parut moins rapide. « 
Après avoir mené de bout en bout, Williams gagne à la moyenne de 143km/h devant Gaupillat et Lehoux à 136km/h de moyenne. Ce dernier empoche la prime de troisième soit 3 000 Frs en liquide.

La saison se termine assez mal pour le courageux Lehoux : le 27 septembre se dispute le 2ème Grand Prix de Tchécoslovaquie à Brno, sur le circuit Masaryk. Le monégasque Chiron dispose d’une Type 51 Usine, Varzi de sa jumelle, et le jeune prince Lobkowicz étrenne sa nouvelle 51131. « Chiron mène suivi de Lehoux à 7 secondes. Mais ce dernier ayant touché légèrement la bordure, casse sa jante, éclate, change seul sa roue, repart, bat officieusement le record du tour en 14m 22s et abandonne pour rupture d’arbre, conséquence vraisemblable du choc. » Si l’année finit en beauté pour l’équipe officielle Bugatti, le retour à Alger est moins triomphant pour le héros local.

La trêve hivernale permet à l’amateur algérois de réviser 51128 au terme d’une saison où elle s’est alignée dans près de dix épreuves dont plusieurs de niveau international, s’octroyant deux victoires : à Genève et à Reims.

Après six mois de repos, 51128 retrouve les circuits aux mains de Lehoux. C’est à Monaco, pour le 4ème Grand Prix, disputé le 17 avril, que le Type 51 reprend du service pour terminer en 6ème place de l’épreuve. Lehoux laisse derrière lui les trois Type 51 officielles de Williams, Bouriat et Divo!

Au Grand Prix d’Oranie, le 24 avril, Lehoux se retire au tiers de la course sur problème mécanique. Après un abandon sur problème d’embiellage dans les premiers tours du Grand Prix d’Italie, à Monza, le 5 juin, Lehoux place 51128 en seconde position du Grand Prix de Lorraine le 26 juin.

Son abandon au Grand Prix d’Allemagne, le 17 juillet, sur problème de différentiel, précède celui du 24 juillet à Dieppe pour cause identique avant même le départ.

Lors des essais de Dieppe le 21 juillet, Lehoux remplit le formulaire officiel d’engagement pour la course du Klausen, les 6 et 7 août suivant. L’algérois indique l’adresse de son atelier de mécanique générale à Alger et son appartenance à l’A.C.F.
La suite de la saison est marquée par une série de contre-performances pour 51128 : Lehoux abandonne dans le premier tour du Grand Prix de la Baule le 17 août, puis au troisième tour du Grand Prix de Brno, le 4 septembre, et à mi-course dans la finale du Grand Prix de Monza, le 11 septembre. Les causes de ces deux derniers abandons ne sont pas connues.
Les photos montrent clairement que 51128 est bien la voiture utilisée à la Baule et à Brno. Nous supposons que c’est encore elle au départ de Monza. Mais dès août ou septembre 1932, 51128 fait double emploi dans l’écurie Lehoux avec sa nouvelle Bugatti 51 (51144), qui est en fait une voiture d’occasion à la carrosserie déjà marquée et qui ne ressemble pas à une voiture neuve.

En février 1933, la première Bugatti Type 51 de M. Lehoux-51128 est officiellement immatriculée après revente, au nom de « Louis Trintignant, viticulteur à Châteauneuf-du-Pape. »

Louis Trintignant (1903-1933)
Son père, Fernand, originaire de Pont St Esprit, avait investi dans le vignoble et acheté en 1893 le « Domaine de Ruth » situé sur la commune de Sainte-Cécile, dans le Vaucluse proche. Cette propriété de 120 hectares regarde vers le mont Ventoux.

Les époux Trintignant ne semblent pas habiter, dès leur acquisition, dans leur nouvelle propriété. Cinq garçons et une fille vont naitre de leur union mais leurs trois premiers enfants : Raoul, né en 1898, René en 1899 et Louis né le 17 mai 1903, voient le jour à Pont-Saint-Esprit (Gard), dans la grande maison familiale du quartier de Monplaisir. Les trois derniers vont naitre au Domaine de Ruth, à Sainte-Cécile. Fernand avait été élu maire de Sainte-Cécile en 1923.

Louis se marie en juin1927. Il habite toujours Sainte-Cécile car il a hérité du vignoble encore dans la famille. Son épouse est la fille du percepteur de Châteauneuf-du-Pape. En février 1932, Louis achète auprès de Paul Morand, homonyme de l’écrivain, et concessionnaire Chrysler à Nice, un Type 35C (châssis 4941).

Louis Trintignant va courir toute la saison 1932 au volant de sa 2 Litres compresseur. Au fils des courses des améliorations vont être apportées par son mécanicien Paul Sauret 1908-2001), surnommé « Paulus ». Celui-ci sera au service des Trintignant jusqu’en 1947. Il mérite d’être mis à l’honneur ici car c’est lui qui va suivre Louis depuis le début de ses courses jusqu’à l’accident fatal de Péronne en 1933, et il va prodiguer les premiers conseils au jeune Maurice quand celui-ci fera ses premiers tours de circuit en 1938 sur l’autodrome de Miramas.

Sur le plan national et régional, l’année 1932 fut très remplie avec de nombreuses courses remportées par Louis Trintignant sur son type 35C.
Avec une telle expérience et de si bons résultats, Louis Trintignant pouvait raisonnablement aborder la saison 1933 en pleine confiance, d’autant plus qu’il allait disposer d’une machine redoutable avec l’ancienne Type 51 de M.Lehoux.

La Bugatti 51128 est immatriculée au nom de « Trintignant Louis, Châteauneuf-du-Pape », sous le numéro 3652 ZA 2, le 9 février 1933. Il est possible que Lehoux ait vendue la voiture à Trintignant dès Septembre 1932, et que ce dernier n’ait pas eu l’utilité du changement de carte grise avant le début de la saison de course 1933. Dix jours après son enregistrement, la Bugatti s’aligne au départ du Grand Prix de Pau, le 19 février. Elle partage la grille de départ avec huit autres Bugatti Type 51 ! Pour une première course, le résultat est encourageant : Trintignant se place 4ème derrière l’Alfa Romeo Monza d’Etancelin et les Bugatti Type 51 de Dreyfus et Bouriat, qui sont quasi des voitures d’Usine.

Au Printemps 1933, nous trouvons L. Trintignant au départ de plusieurs épreuves régionales, et il termine toujours honorablement dans les temps des Bugatti Type 51 auxquelles il se mesure : Falchetto , Braillard et Lehoux sur 51144.
Trintignant se classe ainsi 5ème à la Turbie le 6 avril, en 4min 1 sec et 3/5, derrière Braillard en 3min 59 sec et 4/5, mais devant l’Alfa Romeo Monza de Villoresi. Quelques jours plus tard à Nice, lors d’un 500m départ lancé, il finit 4ème, derrière Braillard et Canin sur Type 35B.

Le 14 mai, à la course de côte des Alpilles, Lehoux établit sur 51144 un nouveau record tandis que Trintignant et Braillard égalisent l’ancien record de l’épreuve.

Ne disposant pas de photos de ces trois courses, il nous est difficile d’attribuer ces lauriers au type 51 de Trintignant, plutôt qu’à son Type 35C (4941). Mais les résultats semblent indiquer que la puissance de l’auto utilisée à la Turbie et aux Alpilles, est comparable à celle des type 51 de Braillard et Lehoux.

Paul Sauret confiait à l’auteur en 1992, avoir à la demande de son pilote, posé le moteur de la 51 dans le châssis de la 35C. Il est logique de situer ce travail vers avril 1933. Et il y a toutes les chances qu’à la course des Alpilles le 14 mai, le montage du moteur double arbre, du tablier décalé et du réservoir à deux ouvertures ait déjà été réalisé ; ainsi l’auto qui fait jeu égal avec la 51 de Braillard semble dans la même configuration, moteur Type 51 dans châssis 35C, qu’au départ de Péronne quatre jours plus tard. Il semble que L. Trintignant ait été déçu par le comportement routier de son châssis Type 51, il trouvait sa vieille 35C plus maniable.

Lors de la transformation, l’échappement latéral de la simple arbre avec son capot modifié et peut-être toute la carrosserie sont conservés sur le châssis de 4941, maintenant équipé du moteur ex 51128. Ainsi préparée la voiture est chargée sur le camion Studebaker au volant duquel Paul Sauret quitte Sainte-Cécile le 18 mai pour Péronne.

Le destin attend là-bas le valeureux pilote provençal : « Le 20 mai au matin, lors de la première séance d’essais, Louis Trintignant a retrouvé confiance dans le pilotage de sa voiture qui l’a souvent mené à la victoire, le moteur double arbre pousse fort et le chrono sera probablement excellent. Mais voilà qu’un gendarme traverse la route, le pilote donne un grand coup de volant pour l’éviter, heurte une borne kilométrique, et part en tonneaux sur 50 mètres. La Bugatti s’arrête enfin sur ses roues, le pilote a été éjecté, au passage il a eu la gorge tranchée par le saute-vent qui est en verre. Son corps est allongé là sur le bord de la route, le sang s’échappe par saccades de la blessure, on recouvre le corps avec des journaux » (Extrait d’Archives d’une Passion.A.R.)

La presse locale commente le drame : « A 7 heures du matin, le 20 mai une explosion retentit dans le village de Mesnil-Bruntel. La Bugatti de Trintignant est sortie plein gaz de la grande ligne droite. Un pneu a sans doute éclaté. A-t-il été ébloui par le soleil ? La voiture est partie en tonneaux en touchant le bas-côté à droite à hauteur le l’actuel numéro 15 de la Grande-Rue. Le bolide est projeté vers la gauche et s’écrase contre le mur d’une autre maison. Le pilote a été éjecté. Il est venu s’écraser sur le seuil de Mme Polleux. Quelques heures plus tard, Louis-Aimé Trintignant meurt à l’hôpital de Péronne. Il a 30 ans. » Paul Sauret sera le premier sur les lieux pour recueillir son infortuné ami.

Le lendemain pendant la course, le jeune Guy Bouriat, directeur des ventes chez Bugatti Paris, se tue au volant de son Type 51 personnel. Suite à cette tragédie qui emporte deux parmi les plus valeureux pilotes Bugatti du moment, l’Automobile Club de Picardie et de l’Aisne décide, le 28 mai 1933, d’ouvrir une souscription qui permet d’ériger, début 1934, un monument destiné à commémorer le souvenir de Guy Bouriat (1902-1933) et Louis Trintigan (1903-1933). Sur le côté droit du monument est gravé dans la pierre : « Louis-Aimé TRINTIGNANT, né à St Esprit (Gard) le 17 mai 1903. Tué aux essais du Grand Prix de Picardie le 20 mai 1933. »

La pauvre Bugatti accidentée dans le village de Mesnil-Bruntel est bientôt ramenée au garage de Chateauneuf du Pape par Paul Sauret. Le châssis, qui est celui d’origine du type 35C (châssis 4941) de 1929 est suffisamment endommagé pour qu’il faille en commander un neuf à l’Usine Bugatti. Ce fait nous été confirmé de vive voix par P.Sauret. Au garage repose depuis avril 1933 : le châssis d’origine 51128, et posé à côté, le moteur 35C ex 4941, jugés tous deux moins performants que la combinaison châssis35-moteur 51.

En attendant le nouveau châssis de Type 35 commandé à Molsheim, il est logique au mécanicien de Louis de remonter le moteur Type 51 dans son châssis d’origine qui l’attend et dont les perçages sont prêts à retrouver leurs fixations premières.
L’examen actuel des deux châssis confirme ces faits : le châssis à moteur 51128 possède le cadre d’origine, de juin 1931, livré à Lehoux. Il porte le numéro 705. Quant au châssis actuel de la voiture à moteur 4941, celle retrouvée par Antoine Raffaelli chez Gros à Robion : son cadre est bien fabriqué à l’Usine au printemps 1933 et porte le numéro de traverse 730. Le châssis détruit, celui du 35C de 1929 devait avoir un numéro de cadre vers 630.

Jules Rolland (1900-1996)
Un peu plus de trois mois après le drame, la veuve de Louis Trintignant vend la Bugatti Type 51 remontée après le drame avec son moteur d’origine, à l’ancien pilote officiel Terrot : Jules Rolland. Le véhicule est immatriculé à son domicile du 3 place Jules Gasquet à Avignon, sous le numéro 3784 CA6, le 26 Aout 1933.

Jules Rolland (1900-1996) est une figure locale du sport motocycliste aixois. Il fut de 1924 à 1928 le plus titré des champions motos, en tant que pilote officiel de la maison Terrot.

La brillante carrière moto de Rolland va se terminer par le tragique accident survenu le 27 avril 1928 aux essais de la Côte des 17 Tournants, sur la commune de Saint Forget, près de Versailles. Ses blessures bien que consolidées ne lui permettent pas de renouer vraiment avec la compétition avant 1934.

Son retour à la compétition sur la Bugatti Type 51 ex-Louis Trintignant, représente pour Rolland un défi physique et la concrétisation de son ambition, jamais reniée, d’être pilote automobile. Depuis le 26 aout 1933, la Bugatti attend sagement son heure dans le garage de J.Rolland.

Pour sa première sortie, il remporte la Course du boulevard Michelet, à Marseille, le 25 mars 1934. Il signe le meilleur temps de la journée en 30 secondes sur le kilomètre départ arrêté, à la moyenne de 118, 421 kms/h. Rolland est félicité par l’ex recordman du Michelet, le pilote marseillais de Bugatti, Aristide Lumacchi.

Le 6 mai, au Val de Cuech, près de Salon de Provence, Rolland signe le meilleur temps de cette course de côte de 4, 25 kms en 2 min 51 sec. Le 18 juin, Rolland participe à la course de côte de Mazamet, puis à celle de Saffres, près de Cavaillon le 15 juillet. Il abandonne le 19 juillet au 7ème tour du Grand Prix d’Albi.

Le 26 septembre, il bataille sur le Mont Ventoux, haut lieu de ses succès passés, et accroche une 6ème place dans la catégorie course, plus de 2 litres, derrière Delmo et devant Delorme tous deux sur type 51.

La presse locale salue sa performance : « Parmi les classés on retrouve après sept ans d’absence et un terrible accident, le champion motocycliste, ex recordman motos du Ventoux et unique vainqueur scratch en 1927, J. Rolland pilotant une Bugatti 51. »

En 1935, le pilote aixois participe encore à plusieurs courses au volant de sa Bugatti 51128 : nous le retrouvons le 27 mai aux Alpilles, le 2 juin au Val de Cuech et enfin le 4 aout à Valréas. Son nom n’apparait plus après cette date dans aucune compétition automobile.

Dans les années 80, Rolland confiait au journaliste de moto bien connu Claude Scalet: « Je tâtais de la compétition automobile à titre privé sur cette Bugatti Type 51, mais mes moyens ne me permettaient pas de m’y engager plus avant. A cette époque je fus sollicité par deux marques automobiles françaises et une italienne en vue de courir sur leurs voitures, hélas cela ne se concrétisa pas. » Il faut attendre le début de 1938 pour voir réapparaitre la Bugatti 51128 au soleil des circuits automobiles. Sans doute a-t-elle attendu deux ans à Aix en Provence, un nouveau passionné qui veuille bien prendre soin d’elle.

Le jeune pilote en herbe qui n’a d’yeux que pour elle, n’a pas encore 21ans. Il fut élevé dans une famille où le nom Bugatti était prononcé à chaque réunion, ce garçon n’est autre que le propre frère de Louis Trintignant.

Maurice Trintignant (1917-2005)
Maurice Trintignant, né au domaine de Sainte-Cécile dans le Vaucluse, a grandi en regardant le Mont Ventoux, par-delà les vignes qui s’étendent jusqu’à son horizon. Né en 1917, il est le petit dernier des six enfants de Fernand Trintignant. Il est allé à dix ans, dans le garage de son frère René à Avignon, qui abrite déjà plusieurs Bugatti. Il a vu débarquer à Sainte-Cécile dès 1930, les Grand Prix : Type 35A puis 35C puis 51 de son frère Louis. « J’ai conduit ma première auto à l’âge de sept ans dans la cour du domaine de mes parents à Sainte-Cécile les Vignes.

1938 est pour Maurice l’année de tous les changements. Il décide l’achat en février de l’ancienne Bugatti Type 51 de son frère Louis qui l’attend chez Rolland à Aix. La voiture est officiellement enregistrée à son nom le 15 février 1938, sous le numéro 932 ZA 4, à son domicile du 1 rue Henri Fabre à Avignon.

Maurice n’est pas encore majeur et pour acquérir la Bugatti, il a dû emprunter de l’argent à un usurier. Il est allé convaincre Paul Sauret, le mécanicien de son regretté frère Louis, de l’initier à la conduite de la Type 51, sur l’autodrome de Miramas, et Maurice a dû demander à son frère ainé Raoul l’émancipation qui permettra la dérogation nécessaire à son inscription au Grand Prix de Pau devant se courir le 10 avril suivant. Sauret n’est pas très enthousiaste, mais les essais à Miramas l’ont convaincu : « Tu es dans les temps des meilleurs ». Au verso d’une photo annotée par Maurice nous pouvons lire « Essai de la voiture à Miramas, 173 de moyenne au tour » et au dos d’une autre photo prise en mars 1938 à Miramas figurent les notes suivantes de la main de Maurice : « 3ème essai après avoir remis le moteur à neuf. Eclatement du pneu arrière gauche après usure, à l’entrée de la courbe face stand à droite, à 200 à l’heure. Meilleur tour 204 de moyenne. » Le mécanicien des Trintignant stimulé par les performances du plus jeune des frères accepte de conjurer le sort. « Je ne voulais pas qu’un autre frère meure dans mes bras. »

Maurice Trintignant utilise avec P. Sauret un garage situé au centre du village de Châteauneuf-du-Pape. Pour sa première participation à un grand prix, le 10 avril 1938 à Pau, Maurice a revêtu le serre tête blanc et la combinaison de son frère Louis. Il termine honorablement 5ème de l’épreuve paloise, là où Louis avait terminé 6ème avec la même voiture en 1933, il empoche la prime de départ de 3 000frs qui sera son premier gain.

Le 5 juin, M. Trintignant remporte sa première victoire au Grand Prix des Frontières de Chimay (Belgique). « Tour après tour, Trintignant parti en 4ème ligne, entame une belle remontée, il passe la Delahaye de Tremoulet et a remonté la Bugatti 57S de Mathieson, il aligne des temps records : 5’11’au 6ème tour et 5’8′ au tour suivant, soit 127, 052 kms/h. Le public se prend de passion pour la remontée de Trintignant, lequel améliore le meilleur temps de la journée, tour après tour. Au 10ème tour il n’est plus qu’à 15′ de Mazaud, au 11ème et dernier passage, 8 secondes séparent les deux leaders ! Au virage de Salles, Trintignant réussit à passer Mazaud et accomplit son dernier tour en vainqueur, réalisant 5’3′ (129, 148 kms/h), meilleur temps de la journée. »

Le jeune vainqueur participe en septembre, en catégorie Sport, aux 12 heures de Paris à Montlhéry. Pour l’occasion la Bugatti Type 51 est équipée d’ailes et de phares. Après un bon départ, Trintignant est 2ème derrière la Talbot du futur vainqueur Lebègue. Mais après 4 heures de course, la roue arrière gauche de la Bugatti se détache et le contraint à l’abandon.

Pour le début de la saison 1939, le Type 51 est équipé de roues fils en remplacement des roues en aluminium. Le mécanicien Paul Sauret profite certainement de la trêve hivernale pour équiper l’auto d’une boite Cotal, avant la reprise des courses en 1939. Il se souvient l’avoir installée après deux ou trois courses.

La saison s’ouvre par un abandon à Pau le 2 avril. Maurice Trintignant n’a pas pu prendre part aux essais. Il part dernier sur la grille. Il finit par abandonner au 13ème tour. Il gagne ensuite la course de Côte de Saint-Europe (Orange) où Louis s’était illustré. Maurice réalise le meilleur temps et s’attribue le record absolu de la course. Il va remporter, le 28 mai, pour la deuxième fois consécutive le Grand Prix des Frontières à Chimay. Le 30 juillet, il termine 5ème du Circuit des Remparts à Angoulême, disputé en formule libre.

La guerre interrompt brutalement les projets de course du jeune bugattiste. C’est au Mas d’Arnaud, belle vieille bâtisse du 17ème siècle, propriété de son beau-père que Maurice est arrêté par les Allemands avant d’être déporté à Mathausen, puis dans un camp de travail en Autriche. A son retour de captivité, Maurice retrouve sa Bugatti 51 qui a passé toute la guerre démontée et cachée dans le foin à Vergèze. Paul Sauret est toujours là ; l’écurie Trintignant va à nouveau s’aligner au départ des Grands Prix.

Comme un symbole, la Bugatti est ressortie des hangars de Vergèze pour participer le 9 septembre 1945 au Grand Prix des Prisonniers, au Bois de Boulogne. Toute l’équipe Trintignant est du voyage : dans la Buick familiale ont pris place Paul Sauret et sa femme Laure, Maurice, et les deux filles de sa première épouse ainsi que Fernand-Pierre, le fils de Raoul. L’épreuve est organisée par l’A.G.A.C.I. sur un circuit de 2,8 Kms.

La course est remportée par le favori, meilleur pilote du moment : J.P. Wimille, sur la plus puissante machine du plateau, la Bugatti Type 50B, 4,7 Litres monoplace. Maurice est contraint à l’abandon car pendant la grande inactivité de l’auto, des rats ont niché dans le réservoir de la Bugatti 51, et, bien que nettoyées, les tuyauteries d’alimentation s’obstruent, et les « pétoules » (crottes de rats), ont raison de l’enthousiasme du talentueux pilote. A l’issue de la course, le vainqueur, Wimille aura trouvé à Maurice le surnom de « Pétoulet ».

Après l’armistice M. Trintignant va louer à Vauvert, près de Vergèze, le garage automobile de M. Roumestan. Il y installe son fidèle P. Sauret et leur collaboration va durer jusqu’en 1948. Sauret et son épouse vont habiter à Vauvert, rue de la République, à côté du garage.

Le Grand Prix de Nice 1946 est la première épreuve internationale d’après-guerre. Elle se dispute le 22 avril sur une distance de 65 tours. Trintignant part en milieu de grille avec un temps honorable aux essais, mais il abandonne au 30ème tour sur problème d’alimentation.

Au Grand Prix de Marseille, le 13 mai suivant, M. Trintignant part en première ligne dans la première manche, mais abandonne sur ennui de magnéto (surchauffe).

La semaine suivante, au Grand Prix du Forez, sur le circuit d’Andrézieux, parti en dernière position, Trintignant se fait remarquer par une impressionnante remontée mais alors qu’il pouvait espérer un podium, des fuites au réservoir d’essence le firent se contenter d’une 4ème place.

Le 30 juin, M. Trintignant est au départ du Grand Prix du Roussillon à Perpignan. La Bugatti se place 5ème, malgré des ennuis d’allumage, avec un meilleur tour dans la cadence du vainqueur, Wimille sur Alfa Romeo 308.

Début juillet, M.Trintignant abandonne, sur fuite d’essence survenue en fin de course, le Grand Prix de Bourgogne couru à Dijon. Même sanction lors du Prix des 24 heures du Mans disputé à Nantes le 28 juillet, sur problèmes de bougies.

La saison 1947 voit M. Trintignant au départ du Grand Prix de Marseille, le 18 mai, au volant d’une Bugatti Type 51 en catégorie 1500cc. Maurice Trintignant et Paul Sauret à qui nous avions posé la question, nous ont raconté l’histoire de cette autre Bugatti Type 51A achetée en 1947 au garagiste et pilote amateur bordelais Charles Huc. Il s’agit de l’ancienne Type 51A de Louis Villeneuve, châssis 51157-moteur 31.

A la fin de l’année 1946 ou au début de 1947, la 51A 51157 est achetée par Huc. Celui-ci, selon les souvenirs de P. Sauret « va la prêter à M. Trintignant, le temps d’une course, car le bordelais souffre d’une éventration […]. La voiture de Huc était une 1500cc deux arbres à cames, boite mécanique, gros compresseur et radiateur étroit qui chauffait beaucoup. » Il est possible que la course dont parle P. Sauret soit celle de Marseille le 18 Mai 1947.

Il y eut par la suite un accord de vente par Trintignant de 51128 à Huc. Voici les souvenirs de Maurice à ce sujet : « J’ai vendu ma 51 à Huc de Bordeaux qui possédait une 51A monoplace, mais il ne m’a jamais payé. Ma voiture (51128) est restée chez moi équipée de la mécanique de la 51A (51157) monoplace Huc ». il y eut donc bien échange ou mélange des deux moteurs entre 51128/51157. P. Sauret apporte d’autres éléments au puzzle : « Le mécano de Huc et sa femme sont venus à notre garage, nous avons mis le moteur de la 2300cc de 51128 dans la 1500cc monoplace, puis à l’issue de la course le moteur 1500cc fut remis en place ». et P. Sauret se rappelait aussi être allé à Bordeaux récupérer plus tard la 51128 non payée par Huc. Elle avait bien quitté le garage de Vauvert, et se serait retrouvée démontée chez Huc.

Après 1947, 51128 reste entre les mains de Trintignant, elle est toujours équipée avec un moteur 1500cc. La monoplace de Huc 51157, équipée d’un moteur 2300cc, partira en Afrique du Nord peu après et disparut. Maurice Trintignant restera fidèle à sa Bugatti Type 51 qui sera exposée dans son salon au Mas d’Arnaud jusqu’en 1974.

Jacques Lefranc
La voiture est alors acquise par le collectionneur Jacques Lefranc qui possède un petit musée automobile à Surry le Comtal dans la Loire. Son mécanicien Marc Defour est chargé de la remise en état du véhicule, par une restauration qui s’attache à conserver au maximum l’originalité et l’aspect extérieur d’un Grand Prix Bugatti très marqué par l’histoire.

Un premier constat révèle que le châssis est légèrement déformé, il est vrillé sans doute suite à un choc violent d’une roue avant sur un accotement. Il est décidé de ne pas redresser le cadre sinon il aurait été impossible de remettre la caisse. M.Defour joue sur les bandages des ressorts, en diagonale afin que l’auto appuie sur les 4 roues. L’essieu avant, creux, n’est pas abimé. Le tablier en alu était très déformé, comme s’il avait été écrasé, à tel point que la magnéto n’était plus en face de l’arbre à cames. Il y avait des petits bouts de bois formant cale pour rattraper l’axe.

Le moteur 1500 avait perdu son carter supérieur d’embiellage, un modèle en bois, réalisé par Pierre Dellières remplaçait la pièce manquante. Par l’intermédiaire de Geoffrey Saint John, J.Lefranc se fait livrer d’Angleterre un carter supérieur embiellé, complet avec vilebrequin et pistons. Lors du remontage il s’avère que ce vilebrequin de 1500cc porte gravé en bout d’axe et sur un palier, le numéro 31 que l’on retrouve sur le carter de pignonnerie du moteur de 51128. Selon Marc Defour cet embiellage provenait avec quasi-certitude, de la voiture de M. Trintignant. Maurice avouait en effet avoir prêté à un ami bugattiste le carter supérieur et le vilebrequin qui équipaient 51128 à l’époque où il était en configuration 1500cc; et ces pièces ne lui avaient jamais été retournées. On notera qu’un carter ancien, sans doute de remplacement usine d’avant-guerre, frappé 51128, était monté alors sur la voiture. Il sera donné avec la voiture.

La réfection du moteur par M. Defour permet la conservation du vilebrequin et des pistons d’origine, les cotes correspondaient. Il mit des segments et des axes de pistons neufs, et dut réaliser sur le bloc un réusinage de la face d’appui des boites à cames. L’ordre d’allumage était le même que pour la 2 Litres 300.

La voiture ne possédait plus de boite de vitesse Bugatti d’origine, depuis la pose de la boite Cotal fin 1938. Mais M. Trintignant avait installé une copie en bois de boite de vitesse Bugatti, fixée avec des vis à bois, et sur laquelle était posé un couvercle de boite d’origine. M. Defour doit changer les traverses de boite, modifiées pour la Cotal. Il trouve un carter de boite ancien et y installe une pignonnerie neuve. Concernant la boite de vitesse d’origine M. Trintignant aurait confié à A. Chomienne : « Je l’ai prêtée à un gars de Marseille qui ne l’a jamais rendue, je dois la récupérer. »
Le carter de pont était d’origine. Un couple neuf, 14X54 est posé.

L’énorme réservoir de plus de 150 litres était complètement pourri. De par sa forme, il débordait fortement vers l’habitacle. Ceci n’avait pas gêné M. Trintignant, de faible corpulence, mais J. Lefranc ne rentrait pas dans le cockpit, aussi un réservoir standard fut installé. Des roues aluminium brevet Bugatti neuves furent mises par sécurité.

Rien ne fut changé sur la carrosserie d’époque ! Elle était conforme aux photos de la voiture de Louis Trintignant à Péronne en 1933. Il est probable qu’à la suite de l’accident qui n’avait pas endommagé la carrosserie, mais rendue le châssis de la 35 (4941) inutilisable, elle fut remontée par P. Sauret sur 51128. La peinture montrait des traces d’une dizaine de couches successives dont une blanche et trois bleues différentes, l’une assez claire. La couleur bleue nuit fut conservée, c’est dans cette superbe condition d’origine qu’on l’a retrouve aujourd’hui sur la voiture.

Un vieil artisan sellier de Surry le Comtal sauva les sièges avec plusieurs retouches et dut, sans doute changer les assises. Le tableau de bord fut rebouchonné, la dynamo qui était un montage ancien fut conservée. Sur le côté gauche, la pompe auxiliaire de graissage disparue fut remplacée. Le faisceau du radiateur qui n’était plus en nid d’abeille, fut refait.
La restauration fut achevée en quelques mois et M. Defour décida de roder l’auto sur les quelque 7 Kms qui séparent le garage de son domicile. A sa surprise le moteur 1500cc afficha un couple important à bas régime, en première dans les virages serrés il eut l’impression que l’embrayage patinait, il remit un cran, repartit. Il avait ciré les deux roues arrières. Avant et après restauration, la voiture sera exposée au Musée de Surry le Comtal. Jacques Lefranc ne l’a jamais utilisée.

Bien des années plus tard, la Bugatti sera acquise par Christian Pellerin, avant d’être achetée aux enchères, le 14 décembre 1992, lors d’une vente de l’Etude Poulain-Le Fur au Palais des Congrès de la Porte Maillot, à Paris. Depuis cette date, elle est la propriété de Jean-Claude Miloé. Elle est entretenue par le garage Novo, spécialiste Bugatti établi à Marolles en Hurepoix (Essonne).

Lors de la commémoration du Grand Prix de Péronne en 1993, le propriétaire actuel eut l’honneur de confier le volant de la voiture à Maurice Trintignant, sur les lieux mêmes où son frère Louis avait trouvé la mort soixante ans auparavant.
A cette occasion, Maurice inspecta l’auto en détail et fournit à J.C. Miloé quelques précisions : « J’avais fait réaliser plusieurs modifications sur la voiture par P. Sauret. Les trous dans le tablier sont la trace de la position basse de la direction que j’avais adoptée, étant de petite taille. J’ai fait pratiquer cette ouverture à droite du volant, sur l’auvent pour recevoir un peu d’air dans la voiture, car, petit, j’étais trop protégé. Le bosselage rapporté sur le capot côté gauche, près de la courroie de maintien du capot fut mis pour accélérer le refroidissement de la dynamo qui m’avait posé problème dans plusieurs courses. Le manchon visible sur la main avant droite du châssis fut nécessaire pour la renforcer après un choc. La patte sur les flasques arrières des freins sert à éviter que le câble de frein ne saute. J’avais fait monter un rétroviseur à droite dont les trous de fixation sont encore là. »

Artcurial a analysé la 51128 de J.C. Miloé et a trouvé qu’elle possédait :

– Le châssis cadre numéro 705 original de 51128.
– La jambe de force numéro 30 – ex 51157 ;
– Le pont arrière numéro 9, de 51128 ;
– La boite de vitesse numéro 380, ex-stock Musée Lefranc ;
Elle ne peut être la boite d’origine de la 35C de Louis Trintignant – châssis 4941 qui devrait avoir un numéro proche de 420, et la boite de vitesse d’origine de 51128, numéro 10 est toujours sur la 4941, aujourd’hui en Suisse.
– La montée de pignons à l’avant du moteur numéro 31, ex -51157 ;
– Les boites à cames numéros 23, ex-51144 (la seconde type 51 de Lehoux) ;
– La voiture possède sa carrosserie, conforme à sa configuration de 1933.

Les éléments historiques vendus avec la voiture sont les suivants :

– La partie inférieur du carter moteur qui était montée précédemment sur la voiture.
– Le bloc moteur 1500cc cylindres et culasses, ainsi que les pistons, soupapes, ressorts et diverses pièces ayant équipé le dit bloc.
– Le petit compresseur d’origine 1500cc (numéro 14) qui fut celui de 51157
– Dans une caisse se trouve le vilebrequin d’origine ex-51157, numéro 31, qui fut monté sur 51128 quand Maurice Trintignant couru en catégorie 1500cc avec 51128.
– La Boite Cotal montée sur la voiture en 1938 qui fut conservé par Lefranc lors de la restauration de la voiture ainsi que le couvercle de boîte de vitesses avant montage du démarreur électrique.
– Une paire de phares, le circuit électrique correspondant étant déjà monté sur la voiture.

La voiture a conservé son aspect extérieur, identique aux photos de 1933. En 1993, l’excellent Michel Magnin procédait à une réfection du moteur et un vilebrequin 2 Litres 300 est installé. 51128 a donc recouvré toute sa superbe d’origine.
Il convient de souligner que près de 90 années après sa sortie d’usine, 51128 nous est parvenue dans un état d’authenticité remarquable : le châssis cadre numéro 705, le pont arrière, entre autres, appartiennent à la voiture depuis sa sortie d’usine. La carrosserie est, elle aussi, dans un superbe état d’origine, et elle est conforme dans sa configuration aux photos de la voiture de Louis Trintignant à Péronne en 1933.

L’ensemble des pièces d’usure tels que: la boite de vitesse, jambe de force, boîte à cames et montée de pignons à l’avant du moteur, ont été remplacés par des pièces originales Bugatti.
L’histoire continue de 51128, et le lot de pièces détachées intéressant, venant étayer son passé glorieux, sont autant d’éléments exceptionnels pour une voiture qui a participé à plus d’une quarantaine de Grand-Prix à son apogée.

Maître Poulain, le commissaire priseur de la vente aux enchères, précise la suite de son histoire :

Plus tard, la voiture fut acquise par un célèbre promoteur immobilier Christian Pellerin. Son nom est attaché à quelques réalisations exceptionnelles, comme le Carrousel du Louvre, la Cité des Vins à Bordeaux mais surtout la rénovation et l’extension du célèbre quartier d’affaires de  » la Défense « à Paris qui lui valut le titre de « Roi de la Défense ». Ce n’est donc pas un hasard si la présentation mondiale de la Bugatti EB eut lieu sur l’Esplanade de la Défense le 14 septembre 1991. Ce bâtisseur confia la vente aux enchères de la voiture à Maître Hervé Poulain le 14 décembre 1992 au Palais des Congrès de Paris.

Elle fut acquise par le collectionneur Jean-Claude Miloé qui l’a gardée jusqu’à ce jour auprès d’un autre joyau, l’une des Delage 1500 GP championne du monde, et d’une remarquable collection de Porsche.

Notre gentleman driver s’est illustré au volant de cette 51 notamment au Grand Prix d’Angoulême, et au Grand Prix de Monaco Historique.

Photos : 4Legend.com

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