Rétromobile 2013 – Bugatti 57 C Ventoux de 1936 – la première construite

Rétromobile 2013 – Bugatti 57 C Ventoux de 1936 – la première construite

Bugatti 57 C Ventoux de 1936

Une très rare Bugatti 57 C Ventoux a été vendue par Artcurila lors du salon Rétromobile 2013 pour 421 445 euros. Cette voiture a une longue histoire et est la première Bugatti 57 C a être construite. Elle est une pièce importante de l’histoire de Bugatti.

LE SALON DE L’AUTOMOBILE DE PARIS OCTOBRE 1936
Les dernières semaines de septembre 1936 voient à l’usine Bugatti de Molsheim une effervescence particulière. Il faut être prêt pour le prochain Salon parisien. Toute la gamme Type 57 sera présente. Pour la première fois, la version définitive du châssis Sport 57S aura les honneurs du public, sous la forme d’un incroyable roadster et d’un coupé Atalante. Ces deux voitures sont sorties de l’atelier de la carrosserie dans les derniers jours de septembre. Elles sont acheminées par chemin de fer vers Paris le lundi 28 septembre. Pendant cette dernière semaine folle avant l’ouverture du salon le jeudi premier octobre, l’atelier travaille tous les jours pour sortir à temps une nouvelle Atlantic et trois coachs Ventoux , dont l’un possède un moteur spécial aux spécificités 57S et muni d’un compresseur. La nouvelle et troisième Atlantic construite, voiture de service de l’Usine, reçoit aussi un compresseur.

Le registre des ventes d’Usine indique sur son programme de septembre 1936 :
– Sur une seule ligne : au crayon de mine  » 57308 Salon 3.10  » et à la plume  » 57452 1C Coach  »
-La ligne suivante : au crayon  » démonst 3.10  » et à la plume  » 57453 2SC Aéro  »
Le prototype 57C et la première 57SC sortent de la carrosserie le samedi 3 octobre 1936 comme l’indique le registre des carrosseries.
 » Coach Ventoux 57/1SC 3/10 57452 rouge cuir havane.  »
 » Coupé Aéro 57/2SC 3/10 57453 noir int drap. « 

Bugatti 57 C Ventoux de 1936

Le lendemain, après une ultime mise au point, il revient au pilote Jules Goux l’honneur d’acheminer vers Paris la première 57C, le coach Ventoux rouge, moteur 1C. Il est accompagné par Jean Bugatti qui prend le volant de la redoutable 57SC Atlantic noire.
Les voitures se voient délivrer les numéros de châssis 57452 pour le coach 57C et 57453 pour le coupé 57SC. Les deux pilotes d’essai foncent sur la capitale, en ce dimanche d’automne et atteignent dans l’après midi le magasin du 46 avenue Montaigne. Les voitures sont nettoyées et préparées pour servir de véhicules de démonstration pour la semaine à venir. Les clients pourront découvrir la puissance des deux nouvelles 57 à compresseur, pilotées par Jean Bugatti et Robert Benoist, le directeur du magasin Montaigne.

Les 7 et 8 octobre, un cabriolet, une berline Gangloff et l’Atalante personnelle de Jean Bugatti ont rallié Paris de Molsheim par la route pour représenter en démonstration aux abords du Grand Palais, toute la gamme Type 57. Sur le stand en exposition statique, un cabriolet Gangloff crème et noir ainsi qu’un coach Ventoux gris et noir voisinent avec les deux 57S. Il n’y a donc pas de 57C en exposition au Grand Palais.

L’Atlantic 57453/ 2 SC et le Ventoux 57452 /1C font le bonheur des clients privilégiés ayant droit aux essais des deux bolides entre les mains expertes du champion du monde R. Benoist. Le Ventoux rouge 57452/1C ressemble extérieurement à un coach classique mais ses performances le placent au dessus d’une 57S non suralimentée. L’arme absolue est représentée par l’Atlantic 57SC noire, qui se mêle aux records des 57G sur l’anneau de Montlhery le samedi 10 octobre 1936 en présence de la presse parisienne. La nouvelle machine à compresseur frôle les 200km/h selon les souvenirs d’Ernest Friderich, témoin de l’événement. Le Ventoux rouge à moteur 1C, a sans doute fait le déplacement à Montlhery, mais aucun record officiel n’est consigné pour ces 2 voitures de service de l’Usine.

Bugatti 57 C Ventoux de 1936

LE COACH 57C DE DEMONSTRATION
A l’issue du salon de l’Auto d’octobre 1936, le coach rouge est conservé par le Magasin Montaigne pour servir de véhicule de démonstration. Les essais aux clients peuvent être conduits par Robert Benoist ou Pierre Veyron. Jusqu’en février 1937, il n’y aura pas de Bugatti Type 57C disponible. Les voitures moteur 2C et 3C, deux cabriolets Gangloff, ne seront livrées que début et fin fevrier1937 à leur clients très privilégiés, le Dr Kocher de Valence et Jean Baylet de Toulouse. Le programme de fabrication du nouveau modèle 57C semble prendre un certain retard. Les voitures à moteurs 4 et 5 sont livrées en mars, celles à moteurs 6,7 et 8 seulement en juin. Pendant toute l’année 1937, le coach 57C rouge circule dans Paris aux mains des pilotes d’Usine et sert de vitrine roulante à la nouvelle série 57C. Dès le printemps 1937, la voiture utilise la carte grise  » châssis 57308  » avec les plaques de Police 4834 NV 3, comme en atteste une note de l’Usine d’avril 1937. Elle n’est pas la seule voiture à circuler avec ce document de Police.

Un courrier de l’atelier de réparation de Levallois adressé à Molsheim, le 15 septembre 1937 signale 3 accidents de moteur analogues se traduisant par grippage ou bris du 8ème piston. Une des voitures concernées est le coach de démonstration 57C.

 » 57308/1C- à compresseur. 23.237 kilomètres au compteur. C’est la voiture de démonstration du Magasin Montaigne que Keiffer a conduite hier à l’Usine. Nous avions refait complètement le moteur après une bielle coulée. Nous avons procédé à l’essai habituel et remis la voiture à la disposition de Montaigne. Au cours du premier essai effectué par le Service des Ventes, le bruit caractéristique du grippage commençant a été remarqué et la voiture nous a été reconduite à 23.365 kilomètres. Etant donné que l’Usine réclamait cette voiture d’urgence, nous nous sommes bornés à essayer d’enrayer le grippage commençant par des injections d’huile dans le 8ème cylindre. La voiture étant actuellement à Molsheim, il vous sera loisible de constater le motif de cet accident. »

Le 13 octobre 1937, le coach 57308/1C utilise la nouvelle plaque 6196 NV3. Les papiers sont confiés au convoyeur de l’Usine Toussaint. Le véhicule se rend à Paris car un client vient de manifester son intérêt dans l’achat d’un Coach Ventoux 57C. Le modèle reste peu diffusé. Seulement 5 véhicules ont été construits en 1937 ! Il s’agit des coachs 57517/7C, 57506/8C, 57526/ 10C, 57496/11C et 57576/12C, livrés entre juin et aout 1937. Plus aucun autre coach Ventoux 57C ne sera construit avant fin janvier 1938. Il n’en faut pas plus pour conforter le jeune Comte Aymar le Larochefoucauld dans son choix. Celui-ci avait déjà postulé pour ce modèle en février 1937, mais le programme de production avait été décalé, et n’avait pas repris avant juin.

Bugatti 57 C Ventoux de 1936

AYMAR ANTOINE ANNE MARIE DE LA ROCHEFOUCAULD (1914-1991)
Il nait à Paris le 7 mars 1914. Descendant de l’une des plus ancienne familles de France, il a la douleur de perdre ses parents en 1918. Son père est tué au front et sa mère meurt de la tuberculose. Il est alors élevé par ses grands parents maternels au château de Douy en Sologne.

Il semble conduire des automobiles dès son plus jeune âge. Il s’initie également à la chasse et devient un fusil redoutable. Il parcourt le monde pour assouvir cette passion. En 1935, à 21 ans, il se porte acquéreur d’une Berline Type 57, 4 portes par Vanvooren, châssis 57214, achetée d’occasion vers juillet 1935. La voiture est payée 30.000ff avec reprise d’une Type 49 familiale châssis 49399. L’adresse consignée à l’époque est à Neuilly sur Seine. On n’ose imaginer qu’A. de La Rochefoucauld fut le propriétaire et conducteur de cette Bugatti modèle 1931, sortie d’Usine l’année de ses dix sept ans. Il n’est pas le premier de la famille à dompter des Pur – Sang, son oncle Sosthène participa aux premières 24 heures du Mans en 1923 au volant d’un Type 23. Celui-ci était directeur et actionnaire de la Carrosserie Profilée qui habillait la majorité des Bugatti parisiennes dès 1922. Aymar se marie le 25 juin 1942 avec Mlle Claude Normant, originaire de Romorantin et héritière d’une grande fortune textile.
Le temps des Bugatti est alors révolu. Le ciel sombre ne s’éclaire pas avant le printemps 1944. Nait alors un premier fils de cette union, puis deux autres enfants viennent agrandir la famille installée dans le château ancestral de Douy près de Chartres dans le Loir et Cher.

Lorsqu’en 1988, un neveu d’Aymar acquiert aux enchères une 57 Stelvio 1935, il vient fièrement la montrer à son oncle qui lui avait conté enfant ses souvenirs Bugatti. A peine arrêtée devant les garages du château de Douy, la Bugatti est déjà prise en mains par le vieil oncle qui retrouve à 74 ans immédiatement ses reflexes de conduite de jeune homme. A l’issue d’une promenade de plusieurs dizaines de kilomètres dans ses terres solognotes, il affiche un sourire amusé lorsqu’il rend à son neveu le Pur sang domestiqué. La devise des La Rochefoucauld  » C’est mon plaisir  » inscrite sur leur blason depuis près de mille ans trouve toute sa signification dans ses moments rares de plaisir partagé.

Bugatti 57 C Ventoux de 1936

LA VIE PARISIENNE 1937-1961
La Bugatti 57308C n’a pas quitté le département de la Seine et nous la retrouvons soumise au régime de la réimmatriculation le 27 avril 1955, au nom de Gaston THERET, domicilié au 25 Place des Vosges à Paris. Le document de Police rappelle la plaque d’origine 4420 RL 3 qui date bien de l’automne 1937, période d’achat par A de La Rochefoucauld.

Au 25 Place des Vosges se tient le siège parisien de la  » Société Anonyme des Ets Gaston Theret « . Il s’agit d’une entreprise de fonderie et de petite métallurgie fondée en 1818. Ses usines se trouvent à Nouzonville et Neufmanil en Ardennes. Après guerre, la société prend le nom de  » Ets Veuve .G. Theret « . G. Theret immatricule la Bugatti 57308C sous le numéro 2496 DX 75 le 27 avril 1955. Il conserve le véhicule jusqu’au 12 octobre 1960. La Bugatti 57C est alors vendue à Michel GILLET, domicilié 3 rue des Bas Rogers à Suresnes. Cette adresse se trouve être également celle du Garage de Gaston Garino, spécialiste des belles mécaniques de précision Hispano – Suiza et Bugatti.

VACANCES EN BELGIQUE 1961-1975
Les Archives de l’importateur Bugatti belge Jean De Dobbeleer conservent la trace de l’achat du véhicule à G.Garino en 1961. Dans les archives photographiques du Garage De Dobbeleer, nous avons pu retrouver deux clichés montrant la Bugatti 57C telle qu’importée de France en 1961. La voiture parait de couleur sombre. La plaque d’immatriculation 2496 DX 75 est bien visible. La même année, le véhicule est revendu à Bruxelles à Georges MARQUET- DELINA. Il est l’héritier d’une chaine d’hôtels situés à Bruxelles (Les Grands Hôtels Belges SA) et à Madrid (Hôtel Ritz et Palace Hôtel). Il semble qu’il ait acheté à J.de Dobbeleer 28 Bugatti au début des années 1960. Les voitures seront gardées dans différents lieux autour de la capitale belge. Des revers de fortune le contraignent au milieu des années 1970 à se séparer de sa collection. Certaines voitures seront mises aux enchères par Christies en mars 1973.

Vers 1975, le coach 57C 57308 est cédé à un grand amateur de l’Est de la France, Jean Serre de Montbéliard. Il se porte acquéreur de plusieurs Bugatti en provenance de la collection Marquet. Un Type 35T, et un Type 57 Atalante viennent ainsi tenir compagnie au Coach 57308C dans les garages de J. Serre. Il semble que le coach 57C n’ait pas roulé pendant son exil belge. En 1975, Serre confie son coach Ventoux à l’atelier de mécanique de Lucien Wurmser à Molsheim pour restauration.

LUCIEN WURMSER (1907-1987)
Cet ancien mécanicien de l’atelier course de l’Usine rentre en apprentissage à 14 ans en 1921. De retour de ses obligations militaires, il est muté à l’atelier de réparation de Levallois pendant l’année 1929. Il est ensuite intégré à l’effectif des mécaniciens de course. Il y reste de 1939 à la guerre. L Wurmser est de tous les déplacements internationaux. Il participe à la grande aventure de Bugatti en course et travaille sur tous les modèles du Type 35 à compresseur jusqu’au Tank 57G. A l’automne 1975 il réalise pour le compte de J. Serre son dernier travail de mise au point moteur sur une Bugatti. Son fils Roland qui a repris et modernisé le garage en 1973, participe aux travaux de carrosserie et de remise en état du véhicule. Il doit réaliser à la main une aile avant trop abimée pour être conservée. La mécanique demande également beaucoup de travail.

Bugatti 57 C Ventoux de 1936

RESTAURATION A MOLSHEIM : AUTOMNE 1975 – ETE 1977

D’après les souvenirs familiaux, rapportés par Alfred Wurmser, nous savons que  » Le Ventoux 57C quitte Molsheim à l’été 1977, avec son compresseur d’origine, sa sellerie tissu et cuir d’origine, son pare-chocs avant, constitué de demi pare-chocs, son tableau de bord d’origine : présence des leviers d’avance et d’accélérateur à main (pour les premières 57 à compresseur puis tirettes…), deux grands cadrans Jaeger plus quatre instruments plus petits autour de la clé de contact démarreur. D’après les photos, à son arrivée à l’atelier la caisse était déjà de couleur verte, deux tons. « 

La voiture porte à ce moment déjà, la plaque de châssis regravée 57557, visible sur une photo. Pour une raison que nous ignorons, entre 1977 et 1984, date de vente au propriétaire actuel, la voiture perd son tableau de bord d’origine, sa cloison pare-feu et son compresseur.

Le véhicule passe en vente aux enchères le 20 juin 1984, à l’A.C.F Place de la Concorde, sous le marteau de Maître Briest. Il est adjugé 318.000ff au propriétaire actuel, Jean Brignole. Celui-ci demande au spécialiste Novo de prendre en charge immédiatement la révision de la voiture. A l’arrivée dans l’atelier, Jean Novo remarque que le pignon d’entrainement du compresseur est encore présent, dernière trace visible du montage original sur la première 57C ! Il remarque également un embrayage spécial bidisques réservé au modèle 57S. J. Novo le remplace par un montage standard. Notons que dans une des notes de l’Usine concernant ce véhicule, la mention Moteur 1SC fut consignée une fois. Artcurial savait que l’appellation est fausse, mais force est de constater que la voiture disposait quand même de quelques spécificités mécaniques propres au Type 57S.
Après tout il s’agissait d’une voiture prototype d’un nouveau modèle, contemporain du premier 57SC et à usage interne de l’Usine. A l’issue de la révision par l’atelier Novo, J. Brignole offre à sa belle Bugatti un séjour prolongé en Corse. Elle participe dans l’île à quelques petits rallyes depuis plus de vingt ans. Chaque année J. Novo faisait le déplacement pour un entretien régulier.

Lors de l’inspection du véhicule à Paris en novembre 2011 par Artcurial, il se révèlait que le numéro de châssis actuel de ce Ventoux (57557), était faux car l’Atalante sortie sous ce numéro de série est aux USA. Son identité est incontestable. Il fallait trouver un indice sur le coach permettant de retrouver son histoire. Le capot est gravé 26, ce qui indique une fabrication de la carrosserie autour de septembre 1936.

Le pont arrière porte gravé le numéro 334. La boite de vitesse porte le même numéro, mais sur son couvercle est également gravé  » C1 « . Le moteur porte sur sa patte arrière gauche le numéro  » 1  » dans un style correct pour l’Usine. Le numéro de châssis frappé en regard est  » 57557 « , mais les 3 derniers chiffres sont à l’évidence, modernes et laissent deviner les chiffres  » 308  » en filigrane.

C’est une note de l’Usine consignée dans le cahier des moteurs qui va donner la clé du mystère. Il y est écrit en toutes lettres:  » Moteur 334 devenu 1C  » et  » 1 – 57452- 57308 – ex moteur 334 « . La première ligne est explicite quant à la modification du véhicule à la mécanique 334, transformé en 57C à moteur 1. La seconde ligne confirme l’information selon laquelle la voiture circula avec les plaques châssis 57452 puis 57308.

Il s’agit bien de la première Bugatti 57C construite, l’ancienne voiture de démonstration du magasin Montaigne pour la saison 1936-1937. Sans aucun doute Jules Goux, Robert Benoist, Pierre Veyron et peut-être Jean Bugatti, lors de ses séjours parisiens furent les premiers à piloter le rapide coach rouge à compresseur.

Il faudrait peu de choses pour qu’il retrouve la puissance de son moteur à compresseur et son éclat d’antan tout en conservant sa magnifique patine.

Carte grise française portant le numéro de châssis : 57557
Chassis : 57452 / 57308 (voir texte)
Moteur : 1C

About The Author

Passionné de tout ce qui roule, vole et flotte.

Related posts

Leave a Reply