Interview de Sabine Maaßen sur la réorganisation d’Audi autour de l’e-mobilité et de la digitalisation

Interview de Sabine Maaßen sur la réorganisation d’Audi autour de l’e-mobilité et de la digitalisation

Comment le constructeur automobile Audi organise-t-il la transformation pour ses employés ? Avec des objectifs clairs, de nouvelles structures et une communication ouverte, soutenue par l’esprit commun Audi. Dans cette interview, Sabine Maaßen, membre du conseil d’administration d’AUDI AG en charge des ressources humaines, et Stefan Kühl, sociologue de l’organisation, apportent des détails supplémentaires.

Audi entreprend actuellement ce qui est probablement la plus grande transformation de l’histoire de l’entreprise. Quels sont les opportunités et les défis liés à la transformation d’une entreprise aussi grande, riche en traditions et hautement spécialisée qu’Audi ?
Sabine Maaßen : Tout à fait, nous sommes actuellement au milieu de la plus grande transformation de notre histoire. En fin de compte, il ne s’agit pas seulement de nouveaux produits, mais d’une restructuration complète de toute l’organisation. Tout notre environnement est en train de changer : le cadre législatif et réglementaire dans lequel nous opérons, nos technologies, nos processus, nos clients et leurs besoins sont au cœur de ces changements. Et par-dessus tout, cela affecte les personnes qui travaillent pour nous. Par conséquent, cette transformation exige de nouvelles compétences et de nouvelles façons de voir les choses. Elle remet en question des structures qui ont fait leurs preuves. Elle rend obsolètes certaines fonctions qui ont longtemps été les clés du succès sous cette forme. C’est pourquoi nous devons donner à nos collaborateurs un sentiment de sécurité au moment où ils entreprennent leur cheminement personnel dans le monde du travail de demain. Nous le faisons en traçant une direction claire, en formulant des objectifs précis et en alignant systématiquement nos structures officielles sur l’avenir. Notre feuille de route technologique est clairement axée sur l’e-mobilité et la digitalisation. Cela donne aux collaborateurs de notre entreprise une ligne directrice claire. Dans ce contexte, il est extrêmement important pour moi que cela se passe toujours de manière collective car nos employés incarnent Audi, ils sont la partie la plus importante de ce processus. Et au-delà de ceci, nous devons nous souvenir d’une chose : façonner la mobilité de demain pour assurer un avenir durable et vivable est l’une des tâches les plus passionnantes de notre époque. Pour y parvenir, nous devons avoir une attitude qui découle du courage, de l’ouverture d’esprit et de la détermination. Et je sens que nos équipes sont prêtes à le faire.

Comment pouvez-vous initier cette attitude ? Comment inspirez-vous le courage, l’ouverture d’esprit et la détermination au sein de votre personnel ?
Sabine Maaßen : En nous transformant de l’intérieur. Ici, chez Audi, nos collaborateurs sont responsables du succès de demain. Nous allons aborder ensemble cette transformation. Ce message est important pour tous les employés. Après tout, la transformation n’est pas un événement ponctuel, mais un état permanent. C’est pourquoi nous devons créer des structures dans lesquelles nos employés peuvent faire l’expérience de la transformation, encore et encore, en permanence. Des structures qui, d’une part, fournissent un encadrement et une sécurité et, d’autre part, créent la liberté nécessaire au développement individuel. Dans un monde qui change continuellement à un rythme rapide, nous donnons chez Audi à chaque individu l’opportunité de contribuer et de développer continuellement ses talents, ses compétences et son expérience. C’est notre mission.

Monsieur Kühl, vous êtes l’un des principaux sociologues du groupe en Allemagne. Selon vous, quelles sont les conditions les plus importantes à remplir pour transformer une entreprise ? Et quel rôle la structure organisationnelle et la culture jouent-elles dans ce contexte ?
Stefan Kühl : C’est précisément le changement des structures organisationnelles officielles qui joue un rôle décisif. Les projets de transformation échouent souvent parce que l’organisation ne considère que l’aspect culturel des choses. Les entreprises considèrent souvent qu’il s’agit d’un raccourci pratique pour le changement organisationnel, un peu comme la gestion du changement sur la voie rapide culturelle. Elles espèrent que les nouvelles valeurs auront un impact direct sur le comportement des employés sans avoir à établir un ensemble de règles précises. En réalité, nous constatons que les processus de changement restent inefficaces s’ils ne touchent pas aux structures organisationnelles formelles et aux processus de travail. Car c’est là que se trouve le véritable levier, par exemple dans la manière dont se présentent les canaux hiérarchiques au sein de l’organisation : si une entreprise fonctionne avec une structure organisationnelle plutôt matricielle ou fonctionnelle, suivant la manière dont les systèmes de récompense ou certains processus de contrôle sont mis en place…

Madame Maaßen, comment mettez-vous en œuvre la transformation chez Audi et de quelle manière modifiez-vous les structures organisationnelles formelles des ressources humaines à cette fin ? Et qu’espérez-vous obtenir comme résultat ?
Sabine Maaßen : L’accord social Audi.Future que nous avons conclu avec les représentants du personnel constitue un cadre fiable. Avant tout, il comprend une garantie d’emploi jusqu’en 2029. Cet horizon à long terme crée un sentiment de sécurité, et je suis personnellement convaincue que ce genre de cadre est nécessaire. Après tout, le changement peut être aussi synonyme d’incertitude pour l’individu. Audi.Future n’est pas seulement une garantie d’emploi. Audi.Future fournit également un cadre clair et contraignant pour la formation et le perfectionnement de notre personnel. Cela inclut la politique consistant à regarder d’abord en interne pour voir qui nous pouvons former pour de nouvelles tâches avant de chercher des compétences spécifiques à l’extérieur. À cette fin, nous avons prévu un budget de formation et de développement d’un demi-milliard d’euros d’ici à 2025. Dans le même temps, nous avons créé des structures entièrement nouvelles au sein des ressources humaines (RH) et nous avons étroitement aligné la mise en œuvre de la transformation des RH sur notre stratégie d’entreprise. Dans ce contexte, nous avons également intensifié la collaboration avec les départements spécialisés. A cet effet, nous avons développé avec chaque unité d’affaires un « objectif cible » qui spécifie exactement ce que nous voulons atteindre via notre transformation. Ces objectifs indiquent les domaines dans lesquels nous investissons, où nous développons les effectifs et les compétences en conséquence, où des tâches sont supprimées et où de nouveaux emplois sont créés. Cela signifie que, dans ce cas également, nous adoptons une approche conjointe, non seulement entre les RH et les différentes unités commerciales, mais aussi en étroite collaboration avec les représentants des employés. Telle est la culture d’Audi, qui nous est d’ailleurs d’une aide précieuse lorsque nous collaborons à de nouvelles structures et que nous réussissons à façonner les trois facteurs essentiels de la transformation qui sont : réduction des effectifs, réorganisation, reconstruction.

Monsieur Kühl, même lorsqu’une transformation est mise en place collectivement, elle crée presque inévitablement des conflits et des incertitudes. Comment préconisez-vous d’y faire face ?
Stefan Kühl : Un processus dont tout le monde est ravi n’est pas un véritable processus de changement. La résistance, les doutes et les questions font toujours partie de l’ensemble. En préservant les emplois comme le fait Audi, on donne aux gens la possibilité de prendre de la distance par rapport à leurs inquiétudes et à leurs craintes personnelles ainsi que de considérer le processus de changement d’une manière complètement différente. Le changement correspond-il à la façon dont je veux travailler, par exemple, et a-t-il un sens pour l’organisation ? Néanmoins, l’opposition et les questions sont des sources d’information essentielles pour affiner et optimiser le processus de changement. La résistance, les doutes et les questions ne sont donc pas des obstacles, mais plutôt un matériau avec lequel il faut travailler pendant le processus de changement.

Madame Maaßen, comment pouvez-vous obtenir l’adhésion de tous les employés ? Comment gérez-vous les conflits et les incertitudes ?
Sabine Maaßen : D’une part, il doit être possible de parler des conflits, c’est-à-dire de les exprimer et de les aborder. Il est important de trouver un moyen de les résoudre sans créer de gagnants et de perdants. Et c’est ce que nous voulons faire chez Audi, conformément à nos valeurs. Les managers jouent un rôle central dans ce processus. Après tout, cette transformation exige aussi qu’ils dirigent leurs collaborateurs à travers le processus de changement.
Nous utilisons des programmes personnalisés pour susciter une volonté de changement : le mois prochain, par exemple, une nouvelle page d’accueil destinée aux employés et aux gestionnaires sera mise en ligne. Sur cette page, nous avons créé une carte du processus de transformation qui ressemble à un réseau de métro. Les employés peuvent l’utiliser pour voir clairement où ils se situent actuellement, quels objectifs ils peuvent atteindre et qui peut les soutenir dans leur transformation personnelle. De la même manière que nous offrons une expérience client très spéciale chez Audi, nous créons une expérience de transformation positive pour nos employés.

Monsieur Kühl, comment pouvez-vous mesurer ou définir si une transformation est réussie ?
Stefan Kühl : Le point critique est la manière suivant laquelle les mesures RH sont couplées à d’autres mesures de changement au sein de l’organisation. Par exemple comment les réorganisations dans une unité d’affaires (comme le passage d’une structure organisationnelle matricielle à une structure fonctionnelle, ou vice versa) s’articulent-elles avec les activités correspondantes des RH ? Ce qui est intéressant avec Audi, c’est que vous pouvez voir comment cette liaison se fait en ce moment même. En effet, elle est absolument cruciale lorsqu’il s’agit de lancer un processus de changement durable dans une entreprise et d’en assurer la réussite.

Madame Maaßen, une dernière question pour vous : À quel point pensez-vous qu’Audi a fait des progrès dans sa transformation jusqu’à maintenant ?
Sabine Maaßen : Nous sommes sur la bonne voie et nous avons déjà fait de grands progrès. Nous avons défini des objectifs clairs. Nous avons une base commune solide pour les atteindre. Et nous nous sommes positionnés structurellement de manière à pouvoir accompagner tous nos employés dans le monde digital et électrifié. Nous sommes maintenant dans une phase où l’accent est mis sur la réorganisation. Ce sera notre priorité au cours des prochaines années. Et je suis absolument certain que notre réorganisation sera un succès. D’une part, Audi.Future nous donne le cadre nécessaire pour cela. D’autre part, nous disposons d’un avantage concurrentiel clair en tant que groupe : nous possédons différentes marques, une forte main-d’œuvre mondiale qui nous stimule constamment, et un esprit qui nous est propre. Nos collaborateurs adhèrent véritablement à leur marque, avec un esprit pionnier et une attitude terre à terre. Et c’est pourquoi je suis sûr que nous continuerons à connaître un grand succès à l’avenir.

Photos : Audi

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