Tatra V570 – Le prototype tchécoslovaque qui inspira la Volkswagen de Ferdinand Porsche

Tatra V570 – Le prototype tchécoslovaque qui inspira la Volkswagen de Ferdinand Porsche

Ce qui est formidable avec l’automobile, c’est la découverte quotidienne de nouveaux modèles, de nouvelles histoires passionnantes et parfois méconnues. C’est notamment le cas avec le prototype Tatra V570 de 1933 dont le design est assez parlant, évoquant des éléments de design de la voiture du peuple (Kdf-Wagen) conçue par Ferdinand Porsche quelques années plus tard et apparue en 1938. Il était d’ailleurs exposé au salon Rétromobile 2020 avec d’autres modèles emblématiques de la marque tchécoslovaque Tatra.

1er prototype Tatra de 1931
Au début des années 1930, en pleine crise économique mondiale, certains constructeurs automobiles ont exploré les possibilités de produire une petit voiture économique au design très aérodynamique pour l’époque. Les voitures avaient du mal à se vendre et les constructeurs devaient se renouveller afin d’avoir des bons de commande. La marque tchécoslovaque Tatra s’est lancée dans cette voie en s’appuyant sur certains hommes de talent : Hans Ledwinka et Erich Übelacker. Hans Ledwinka s’est entouré d’une équipe de jeunes ingénieurs incluant notamment son second fils Erich Ledwinka (intégrant Tatra en 1930) qui a eu l’idée de concevoir une voiture à moteur refroidi par air monté à l’arrière.

Un premier prototype a été conçu en 1931 sur le châssis favori de Tatra et équipé de la carrosserie coupé de la T57 à 2 places. Le moteur bi-cylindre de 854 cm3 était situé à l’arrière à la place des bagages dans le coffre. Une première carrosserie a été refusée, amenant la création d’une nouvelle utilisant des éléments de la première et réduisant les bruits générés par le moteur refroidi par air. La voiture était plus légère, notamment dû à l’absence de l’arbre de transmission et du fait que le moteur était refroidi par air (absence de pièces du système de refroidissement liquide). Le design de la carrosserie était inspiré des principes aérodynamiques établis par l’ingénieur hongrois Paul Jaray dans les années 1920.

Prototype Tatra V570 de 1933
Le refroidissement du moteur n’étant pas concluant, Hans Ledwinka a décidé d’arrêter l’expérimentation. Avec son collègue Erich Übelacker, ils étaient persuadés qu’un modèle plus grand à 4 places – offrant plus d’habitabilité et de place pour le refroidissement du moteur – était intéressant à développer.

Cette idée a été partagée avec Paul Jaray qui avait conçu en 1932 un design aérodynamique pour la Tatra T57. C’est la naissance du prototype Tatra V570.

Le V signifie Versuchswagen (voiture d’essai) et 570 évoquant l’évolution de la T57. Ce nouveau véhicule se voulait aussi révolutionnaire que l’était la Tatra T12, conçue quelques années en arrière.

Comme pour le premier prototype, le petit moteur bi-cylindre de 854 cm3 de 18 ch a été utilisé et placé à l’arrière de la V570, associé à une boîte de vitesses manuelle à 4 rapports. Ce second prototype – à 4 places et à plancher plat, conçu avec l’aide de Paul Jaray avait une carrosserie aérodynamique à structure en bois recouvert de panneaux en tôle. Sa vitesse maximale était de 80 km/h, freiné par 4 freins hydrauliques à tambours.

Sa carrosserie très arrondie ne comporte pas d’ouvrant à l’avant. Les phares sont en partie intégrés à la carrosserie. Des entrées d’air situés derrière les vitres latérales arrière de la voiture à 2 portes permettent de refroidir le moteur.

Malgré l’intérêt de ce projet, la direction de l’entreprise a décidé de ne pas donner suite et de ne pas la produire. L’objectif était de se concentrer sur de plus grandes voitures aérodynamiques, utilisant certaines idées de ce prototype, donnant naissance plus tard aux légendaires Tatra T77 & T97 ayant marqué leur époque.

Une inspiration forte pour Ferdinand Porsche pour la Kdf-Wagen
Mais alors quel est le rapport avec Ferdinand Porsche et la Volkswagen (la voiture du peuple)?

Avec l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir, ce dernier voulait offrir à son peuple une voiture économique et facile à fabriquer. Il se tourna ainsi vers le Dr. Ferdinand Porsche pour la concevoir.

A cette époque, Ferdinand Porsche avait son bureau d’études et travailla pour différents constructeurs. Il était d’ailleurs en contact avec Hans Ledwinka, les deux s’inspirant parfois des projets l’un de l’autre. En voyant le style et les idées de la Tatra V570, il est clair que Ferdinand Porsche s’en est inspiré pour certains de ses futurs prototypes comme la NSU Type 32 de 1933 et la Coccinelle Type 60 de 1934.

Les fortes similarités de ces voitures a poussé Hans Ledwinka a déclaré : Parfois, Porsche regardait au-dessus de mon épaule et parfois je regardais au-dessus de la sienne. »

D’ailleurs, Adolf Hitler aimait voir les voitures Tatra sur les salons automobiles comme celui de Berlin en 1933 et 1934. Après avoir longuement discuté sur le stand Tatra avec Ledwinka, il avait même déclaré : « Das ist der Wagen für meine Strassen. » (C’est la voiture pour mes routes). C’est d’ailleurs suite à cette discussion, qu’Adolf Hitler a validé les spécifications de sa voiture du peuple. Il a ensuite mandaté Ferdinand Porsche afin de la concevoir, Tatra n’étant pas une marque allemande.

Ainsi, quelques brevets Tatra ont été copiés et utilisés par Ferdinand Porsche pour la conception et la production de la Kdf-Wagen, devenant ensuite Volkswagen. Tatra ne se laissant pas faire, le constructeur tchécoslovaque a revendiqué sa propriété intellectuelle sur différents éléments : refroidissement par air canalisé, position du moteur arrière, disposition de la boîte de vitesses, design, …

Lorsque Ferdinand Porsche a du s’expliquer sur ces imitations, il s’est justifié à Ledwinka que Hitler lui a donné des ordres afin d’avancer et de produire les voitures, pouvant utiliser toutes les idées et concepts possibles, les brevets et propriétés intellectuelles devant être traités plus tard.

Nous étions en 1938, au moment de la signature des accords de Munich. Ces accords avaient pour objectif de régler la crise des Sudètes et qui ont également mis un terme à la République de Tchécoslovaquie en tant qu’État indépendant, permettant à Hitler d’annexer les régions tchécoslovaques peuplées majoritairement d’Allemands. Le constructeur automobile Tatra est ainsi passé sous le giron allemand et ses revendications de copie n’avaient plus lieu d’être.

En 1939, la Seconde Guerre Mondiale a éclaté, plongeant le monde dans un conflit sans précédent. Aux lendemains de la guerre, les héritiers du Baron Hans Ringhoffer (ayant la majorité des parts suite à la fusion de Ringhoffer et Tatra en 1935) via leur société Ringhoffer-Tatra basée à Munich ont porté l’affaire devant les tribunaux allemands à Düsseldorf. Suite au jugement du 12 octobre 1961, une seule des 10 accusations de copie a été retenue à l’encontre de Volkswagen.

L’une des personnes ayant soutenu cette action était Hans Ledwinka en personne ainsi qu’un propriétaire d’un garage autrichien. Ce dernier avait dans son garage l’un des tous premiers prototypes de la Volkswagen qui avait besoin d’un changement d’aile. Lors de cette réparation, il a observé la conception de la voiture et a pu la comparer à celle des brevets déposés par Tatra. Il a ainsi pu confirmer à la court la similarité très forte avec le brevet.

Un peu plus tard, un porte-parole de Volkswagen a déclaré : « Beaucoup des idées qu’avait développées Ledwinka chez Tatra ont été utilisées de façon similaire sur la Volkswagen. »

En 1965, Volkswagen a accepté de payer une grosse somme aux héritiers Ringhoffer (en dehors de tout acte judiciaire) pour mettre un terme aux poursuites, admettant officiellement la copie des brevets. Mais cela ne fut pas aisé pour Hans Ledwinka de récupérer pour lui des dédommagements de la part de la famille Ringhoffer. En effet, il n’avait pas assez d’argent pour se payer un avocat. C’est finalement son ami Felix Wankel (l’inventeur du moteur rotatif présent sur les modèles NSU et Mazda) qui lui a mis à disposition son propre avocat. Hans Ledwinka est décédé avant de connaître les résultats du jugement. Selon Oskar Pitsch ayant travaillé avec Erich Ledwinka, la somme concédée était de 80 à 100 000 DM (alors que trois millions de DM avaient été versés par Volkswagen).

Photos : 4Legend.com / DR

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